Archipel poétique

Musée / À travers la thématique un peu floue et trop extensible de l'île, le Musée d'art moderne rassemble un bel archipel d'artistes contemporains, tels Rebecca Horn, Marina Abramovic, Richard Long, Michelangelo Pistoletto... Jean-Emmanuel Denave


«Îles jamais trouvées», tel est le titre donné par Lorand Hegyi à une vaste exposition itinérante qui fait étape à Saint-Étienne, après Gênes et Thessalonique. Pour le commissaire, la métaphore insulaire ne recouvre rien moins qu'une sorte de définition de l'art et de l'artiste (à laquelle nous pouvons adhérer), séparés du monde (du continent) des objets utilitaires, fonctionnels, quotidiens. Elle recouvre encore les idées d'utopie, de voyage et de quête de soi... Bref, la notion d'île est tellement élastique qu'elle pourrait être attribuée à (presque) n'importe quelle œuvre d'art. Malgré la faiblesse du propos, l'exposition présente nombre d'installations, peintures, photographies et vidéos intéressantes, fortes, poétiques. Elle débute par l'intrigante «sculpture» de l'Allemande Gloria Friedman : cinq personnages en file indienne avancent, accablés, dos courbés, vers une sorte d'entonnoir géant ; image de l'inexorabilité du destin ou du passage vers un autre territoire, qui sait ? L'œuvre de 2007 s'intitule sobrement «Exode». Elle tisse un lien intéressant avec d'autres créations ayant trait à l'exil, à la migration, à l'errance, comme les photographies de la bosniaque Danica Dakic, ou les deux grandes barques du Camerounais Barthélémy Toguo, transportant leurs monceaux de baluchons bariolés et naviguant sur une «mer» de bouteilles de vodka...

Et vogue le spectateur...

Ces barques se situent dans le plus grand espace du Musée où le visiteur se perd quelque peu et où des œuvres signés par des artistes majeurs (un tableau d'Anselm Kiefer, un chemin de pierres plates de Richard Long) semblent «noyées» et pâlichonnes. On se perd avec beaucoup plus d'intérêt et d'émotion dans le labyrinthe en carton de Michelangelo Pistoletto, pour se retrouver, en son milieu, face... à soi-même ! On oubliera très vite les hybridations numériques d'Orlan ou la petite salle consacrée à des œuvres mineures de Louise Bourgeois, pour se concentrer par exemple sur la vidéo de Marina Abramovic. Couchée sur le sable d'une plage de Stromboli, le visage et le corps de l'artiste sont baignés régulièrement par des vagues. C'est simple et émouvant. Aussi simple et émouvant que le petit théâtre d'ombres de Hans Peter Feldmann fabriqué à partir de bric et de broc, ou que des œuvres de Rebecca Horn : un jeu de miroirs pour reconstituer l'univers, ou un javelot à l'horizontal traçant une ligne d'horizon... À défaut de découvrir de nouvelles idées sur l'art contemporain, on se laisse ainsi voguer, avec plaisir et émotion, d'œuvre en œuvre, oubliant très vite ou esquivant certaines créations mineures ou anecdotiques.

«Iles jamais trouvées»
Au Musée d'art moderne, jusqu'au dimanche 17 avril.


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