Macad'âme


Francis a 45 ans. Il était marié à Estelle qu'il avait rencontré vingt ans plus tôt, le soir où il fêtait son BTS de comptabilité. Quelques coups de téléphone, deux ou trois cinés puis une chambre d'étudiant. Pour Francis la vraie vie pouvait commencer. Après qu'il soit entré chez France Télécom, tout est allé très vite, l'ascension fut rapide car on peut dire que Francis était brillant. Promesse d'une belle carrière. Chaque été, la petite famille regagnait sa maison en bois au bord de l'océan et Francis mettait fièrement à l'eau le jet-ski acheté sur internet, où il trouvait aussi, entre autre, le foie gras et le champagne pour les fêtes. Pourtant, sans qu'il ne voie rien venir, la pression au travail est devenue trop forte pour Francis. Les responsabilités qui se surajoutent, le temps qui manque pour tenir des objectifs toujours plus fous, le sommeil peuplé d'angoisses, le stress qui s'immisce dans chaque geste… Beaucoup de café, pas mal de whisky, quelques virées avec de vieux copains de lycée retrouvés un peu par hasard sur copainsdavant. Et parmi eux, Marie. La belle Marie qui surgit de nulle part au bout de vingt ans de silence. Toujours les mêmes cheveux blonds, le même regard, la même voix. Quelques textos, deux ou trois verres puis une chambre d'hôtel. Alors tout s'embrouille, tout devient compliqué, insoutenable, Francis peut être délicieusement léger et profondément malheureux dans la même minute. Un lundi Francis apprend qu'il est licencié. Le mercredi Estelle découvre un mot griffonné par Marie au dos d'un billet de pressing. «Tu me manques déjà». Le vendredi Francis a tout perdu. Son emploi, sa femme, ses enfants, sa maison, sa voiture, sa dignité. Presque son âme. Francis paraît avoir la soixantaine car deux ans de vie dans la rue, ça vous marque un homme. Lorsque Estelle l'a mis à la porte, leur fils aîné venait de décrocher son BTS de tourisme. Pour Francis la vie venait de basculer. Après son licenciement par France Télécom, tout est allé très vite, la chute a été vertigineuse car on peut dire que Francis était comme impuissant. Détresse d'une fulgurante descente aux enfers. Cet été, Francis installera sa maison en carton au bord de la Saône et pêchera quelques poissons avec le fil de nylon récupéré dans les poubelles du centre commercial, où il trouve aussi, entre autre, une partie de ses repas. Il n'y a plus de lundi, de mercredi ni de vendredi. Il ne reste que les saisons et le macadam.


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Quelque part entre Bamako et les Balkans