Ted

Dans un glorieux mélange de genres, Seth MacFarlane réinvente la comédie romantique en version politiquement incorrecte, par la grâce d'un ours en peluche qui parle, boit, fume, baise et surtout incarne la résistance des années 80 et de leurs excès. Intelligent et hilarant. Christophe Chabert


Quand il avait huit ans, au début des années 80, John Benett était un gamin de Boston introverti. Un miracle s'est produit : son ours en peluche a soudain pris vie, lui jurant d'être pour toujours son meilleur ami. Aujourd'hui, John Benett (Mark Wahlberg, en pleine reconversion comique) a 35 ans, une bombe atomique en guise de copine (Mila Kunis, sublime, mais là, on n'est plus critique de cinéma) et toujours le fameux Ted collé à ses basques. Comme lui, il a grandi, et désormais il passe ses journées à fumer de la beuh, picoler et traîner devant la télé — quand il n'organise pas des soirées putes à la maison. Cohabitation explosive évidemment : Lorie ne supporte plus les excès de Ted et somme son amoureux de choisir entre elle et ce meilleur ami encombrant. Si Seth MacFarlane, créateur de la série Les Griffin, prête sa voix à Ted, on comprend vite qu'il s'identifie surtout à Benett lui-même : un ado attardé qui refuse d'accepter les responsabilités de l'âge adulte et préfère se réfugier dans l'âge radieux où il regardait en VHS Flash Gordon et lisait des comics. Face à lui, Ted n'est pas seulement un extraordinaire personnage de comédie, sarcastique, vanneur, provocateur ; c'est aussi l'incarnation d'un esprit pop des années 80 qui s'obstine à en conserver les valeurs : vulgarité, frime, culot, inconscience.

Ours en pelloche

L'enjeu consiste alors autant à renouveler avec élégance les codes de la comédie romantique — le film rappelle ainsi les derniers Blake Edwards, très conceptuels, Skin deep et Dans la peau d'une blonde — qu'à s'interroger sur la possibilité de perpétuer cet esprit-là dans le cinéma américain contemporain. Très politiquement incorrect, Ted fonce tête baissée dans les tabous de l'époque, renversant travail, religion, communautarisme et culte de la célébrité, et repoussant au passage quelques limites figuratives — on y voit ainsi une baston homérique et pourtant improbable. La chose pourrait tourner à un plaidoyer pour une culture geek dont on connaît par ailleurs trop bien les limites si MacFarlane n'avait l'idée, brillante, d'inventer en cours de route un double maléfique à Benett, lui aussi bloqué à l'adolescence mais dans une déviance morbide. Le conte de noël subversif du début dissimulait en fait une fable très actuelle sur une génération dont on ne sait encore quelle place il faut lui accorder.


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God bless America