"A la fougue qu'il vous reste"

Le chagrin des ogres est une œuvre forte écrite et mise en scène par Fabrice Murgia. Un temps pris pour décortiquer les méandres tragiques de l'adolescence dans ses ombres les plus techniques. Grégory Bonnefont


La poésie du titre possède en elle une noirceur inspirée des contes les plus sombres. Toutefois l'origine du texte de Fabrice Murgia se situe dans les faits divers de notre bonne société. Fabrice Murgia, jeune de surcroît, pense qu'il faut écrire le monde dans lequel on vit, comme une façon d'enterrer les auteurs. Le temps viendra certainement pour lui de les faire rescuciter. Le chagrin des ogres, c'est du théâtre réalité sur fond de conte. La pièce se fait en effet l'écho de l'histoire croisée de Bastian Bosse et Natascha Kampusch. Le premier, jeune allemand, déclarait sa violence au monde avant d'ouvrir le feu dans son lycée. La seconde fut cette jeune autrichienne kidnappée pendant huit ans. Deux visages, deux trajectoires, une seule et même vision de l'adolescence? Se prépare alors le spectre de la révélation sur cette période de la vie au delà de ces mêmes faits divers. Il s'agit dès lors de rappeler qu'avec l'adolescence est célébrée la mort du chant des possibles. Le tragique comme un hymne à la violence tournée soit vers les autres, soit contre soi. 

"Comme si la technique dépassait mon corps"

Que reste-t-il de cet adolescent en chacun de nous? Le dialogue intergénérationnel est lancé dans cette messe théâtrale dure mais ô combien atypique et surprenante. En maîtresse de cérémonie, le personnage de Dolores incarne une vierge en robe de mariée et déjà souillée de sang. Il faudra d'abord accepter ce premier cap au symbolisme poignant avant de voir se dérouler une mise en scène de deux adolescents pétris d'une souffrance indicible. Fabrice Murgia a fait appel à de nombreux processus techniques vidéos et sonores pour incarner l'étrangeté et bien sur le phénomène virtuel dans lequel baigne les adolescents. Entre l'illusion de la chambre d'hôpital d'un côté et la chambre informatisée de l'autre, les lumières coordonnent magnifiquement le masculin et le féminin adolescents. Aujourd'hui internet est le miroir aux reflets suicidaires d'une adolescence désenchantée. Un théâtre catharsis s'installe aux élans sociologiques mais qui ne sonne pas le glas du désespoir. En effet, au travers de la chanson Oh my love de John Lennon retentit une mélodie du possible. Celle qui nous appartient d'écrire pour tuer notre propre ogre, celui qui nous bouffe de l'intérieur. Car au final, voilà bien la seule violence qui devrait exister à ces âges-là.

Le chagrin des ogres, les 13 et 14 décembre, 20h au Théâtre Jean Dasté


<< article précédent
Un clown qui a du chien