Les rêves forgés de Markus F. Strieder

Sobres et émouvantes, les sculptures métalliques de Markus F. Strieder sont le fruit d'un long travail préparatoire personnel et d'un lourd processus technique. Elles concentrent en elles bien des énergies et des tensions hétérogènes. Jean-Emmanuel Denave


Dans une forge bruissant du vacarme des machines, un bloc d'acier ou de fer en fusion (chauffé entre 1100 et 1240°) passe de plan de travail en plan de travail, manipulé par un ouvrier avec de longues tenailles. Une masse automatique frappe ensuite violemment le métal, compresse et aplatit son volume, jusqu'à ce que Markus F. Strieder considère être sa bonne taille, sa bonne configuration… Le bloc encore incandescent sera ensuite «collé» à d'autres du même type afin de composer une sculpture, une petite entité sobre, temporairement dérisoire parmi la vastitude des hangars industriels...

Markus F. Strieder (né en 1961 en Autriche, installé en France depuis 1992) travaille le fer et l'acier depuis maintenant plusieurs années, avec un goût prononcé pour la matière, son énergie et le geste artisanal ou ouvrier. Il y a quelque chose de lourd, de direct, de littéralement frappant dans son art qui ne procède à aucun traitement secondaire : ni soudure, ni patinage, ni ciselure… Et, même lorsque ses œuvres ressemblent à des lignes entortillées complexes («les lignes Syam» exposées à la Fondation Bullukian à Lyon en 2012), celles-ci sont encore d'une certaine manière le fruit du processus industriel : «J'ai observé le travail des ouvriers pendant deux semaines et un accident de fabrication s'est produit. C'est alors que j'ai compris ce que je voulais faire pour mon exposition à Lyon», précise l'artiste. «On a là un travail qui allie l'humain, l'industrie, la matière, le temps et une certaine intervention artistique de ma part. La part du hasard est aussi importante que la volonté de l'artiste et il m'est important que la ligne se dessine elle-même, que la matière se représente elle-même, qu'elles aient leurs propres présences». La démarche artistique de Strieder rejoint ici certaines conceptions philosophiques zen.

Du rêve à la densité de la réalité

En dehors de ce travail récent sur l'enchevêtrement des lignes, Markus F. Strieder compose ses œuvres par séries à partir de formes génériques simples : les cubes et blocs compressés, les Polyèdres, les Toupies, les Boules et les Anneaux. Toutes sont le fruit d'un long travail préparatoire à l'atelier fait de dessins qui sont davantage une manière de se concentrer et de se plonger dans le geste créatif, qu'ils ne servent pour des esquisses ou des projets précis. «Je rêve beaucoup. Puis j'essaie de densifier ce dont je rêve.» Chaque sculpture est concrètement la condensation de diverses énergies : celle de la matière, celle des forges, celle de l'artiste lui-même. «La matière est le lieu où je me trouve», déclare encore Strieder.

Dans leur état final, ses œuvres ressemblent faussement à des éclats ou au produit d'un processus objectif, voire à quelque concrétion naturelle comme pour sa série Chirat «inspirée» par ces phénomènes naturels éponymes que l'on trouve au-dessus de 900 mètres d'altitude sur les pentes nord du Parc naturel régional du Pilat  : des champs de pierres qui naissent des fractures dues au gel et dont les éléments isolés ont leur propre rigueur naturelle, leur densité et leur expansion. L'œuvre de Markus F. Strieder se situe au point de jonction de la nature du matériau, du geste artisanal ou industriel et de la créativité subjective. La nature, la machine et la psyché cumulent ici leurs énergies et leurs tensions.

La dernière étape, essentielle, consiste à «forger» l'espace d'exposition en disposant au sol les sculptures, en fonction de la configuration des lieux. Parmi ses sources d'inspiration diverses et nombreuses (de Pierre Soulages à Tony Cragg), Strieder cite aussi le cinéaste japonais Yasujiro Ozu : «Dans l'un de ses films, il y a une scène où quelqu'un pose une bouteille devant un phare. Le fait de “poser", c'est de la sculpture».

Markus F. Strieder du 22 juin au 18 août au Musée d'Art Moderne de Saint-Étienne Métropole


<< article précédent
Party time !