La Bataille de Solférino

Un micmac sentimental autour d'un droit de visite paternel le soir de l'élection de François Hollande. Bataille intime et bataille présidentielle, fiction et réalité : Justine Triet signe un film déboussolant dont l'énergie débordante excède les quelques défauts. Christophe Chabert


Vincent et Lætitia sont séparés ; ils ont eu deux enfants ; Lætitia a obtenu leur garde, Vincent un simple droit de visite qu'il applique n'importe comment, et son comportement un brin borderline ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Ce drame ordinaire a été raconté mille fois, mais La Bataille de Solférino lui donne une dimension cinématographique unique : Lætitia est journaliste à Itéle et là voilà contrainte d'aller couvrir les résultats du second tour de l'élection présidentielle, le 6 mai 2012, au siège du PS rue de Solférino. Là encore, le scénario est connue, mais c'est le télescopage entre ces deux dramaturgies écrites d'avance — la crise du couple séparé et la victoire de François Hollande — qui donne au film sa vibration d'incertitude.

Justine Triet fait entrer la fiction dans la réalité par surprise et sans filet ; quand Vincent débarque rue de Solférino dans la ferme intention de régler ses comptes avec son ancienne compagne, on craint à plus d'une reprise que cette foule en liesse, ivre mais pas que de joie, ne s'en prenne à lui comme s'il était un trouble-fête un peu trop hargneux pour les circonstances.

La France coupée en deux

Cette corde raide, La Bataille de Solférino ne la tient pas seulement dans ce morceau de bravoure, où la cinéaste arrive à tenir son cap au milieu de la tempête, s'offrant même d'époustouflantes images en plongée où l'on voit les comédiens fendre la masse compacte des militants déchaînés. L'inquiétude suinte de partout, que ce soit dans la séquence où Vincent arrive à s'introduire chez Lætitia avant d'être raccompagné poliment mais fermement par un voisin vers la sortie, ou encore dans la scène où des militants UMP, pull autour des épaules et visages de scouts pubères, provoquent grossièrement l'autre camp.

Une tension qui culmine dans l'impressionnant face-à-face final, où les coups font mal, mais les mots encore plus, et où les combattants finissent épuisés, obligés de déposer les armes. Triet doit une grande part de cette réussite à ses comédiens, à commencer par Vincent Macaigne, aussi génial ici qu'il était pitoyable dans La Fille du 14 juillet, mais aussi à Lætitia Dosch, crédible en mère tyrannisée comme en journaliste dépassée. On pardonnera donc à Triet quelques digressions inutiles qui ramènent le film vers un beaucoup plus attendu horizon auteuriste ; le reste n'est qu'énergie et vérité.

La Bataille de Solférino
De Justine Triet (Fr, 1h43) avec Lætitia Dosch, Vincent Macaigne, Virgil Vernier…


<< article précédent
Elle s’en va