Gravity

Alfonso Cuarón propulse le spectateur en apesanteur dans un espace hostile et angoissant pour une expérience cinématographique hors du commun qui est aussi une réflexion humaniste sur l'idée de renaissance. Rien moins qu'une date dans l'histoire du cinéma. Christophe Chabert


Un carton en préambule nous annonce froidement que dans l'espace, il n'y a ni lumière, ni son, ni oxygène et par conséquent aucune chance de survie pour un être humain. Puis un long panoramique majestueux, intensifié par la 3D, survole la Terre vue depuis le télescope Hubble en cours de réparation par une équipe de scientifiques.

Parmi eux, Matt Kowalsky, un vieux briscard qui effectue sa dernière sortie spatiale (George Clooney, plus Clooney que jamais) et Ryan Stone qui, à l'inverse, passe pour la première fois du laboratoire au vide intersidéral (Sandra Bullock, absolument géniale dans ce qui est sans doute le meilleur rôle de sa carrière). Le dialogue, remarquablement écrit, croise conversation anodine, plaisanterie potache et interaction avec la NASA, qui finit par demander en urgence l'annulation de la mission ; les débris d'une station orbitale foncent directement vers les astronautes.

Il faut préciser que tout cela se déroule en temps réel et en un seul plan, avec une caméra qui semble elle aussi en apesanteur, créant un hyperréalisme jamais vu sur un écran. Dans Les Fils de l'homme déjà, Alfonso Cuarón cherchait à atteindre ce degré d'immersion. Il y parvient ici au-delà de tout ce qui a jamais été montré au cinéma : il n'y a plus ici ni effets spéciaux, ni distanciation par la fiction, simplement la sensation tétanisante d'être nous aussi perdus dans l'espace, pris au piège de l'infini.

(Sur)Vivre

Si Gravity, au gré de ses incessantes péripéties, s'affirme comme un spectacle total et inédit, qui tient autant du train fantôme que de la montagne russe, Cuarón réussit une prouesse plus grande encore que celle de la virtuosité technologique : faire surgir, au sein de l'urgence de son récit, un sous-texte qui passe uniquement par la puissance évocatrice des images.

C'est ce filin qui relie Kowalsky et Stone comme un cordon ombilical, cette soute libératrice dans laquelle Stone s'engouffre avant de se recroqueviller en position fœtale comme revenue dans un ventre fécond, ou encore la fin du film, que l'on ne racontera pas mais qui figure avec une grâce et une poésie inouïes l'exacte expression d'une re-naissance. Comme dans Et même ta mère et Les Fils de l'homme, Cuarón pose la femme comme seul avenir de l'Homme, qui choisit la pulsion de vie et l'espoir plutôt que la mort et la résignation.

Derrière l'expérience visuelle ultime se cache une œuvre intime et humaniste ; derrière le prototype révolutionnaire, il y a le film le plus abouti de son auteur.

Gravity
D'Alfonso Cuarón (ÉU, 1h31) avec Sandra Bullock, George Clooney…
Sortie le 23 octobre


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