Tony Cragg, majestueux

Le Musée d'art moderne accueille les œuvres exceptionnelles du sculpteur anglais Tony Cragg. Une ode poignante à la complexité et à la diversité de la vie. Jean-Emmanuel Denave


Dans la très grande salle centrale du musée, Tony Cragg a disposé six sculptures monumentales gravitant autour d'une sorte de globe en marbre blanc feuilleté. Un choc  ! Comme rarement nous en avons vécu au sein d'une exposition. Les œuvres en bois ou en marbre, aux tons très différents (du blanc au vert) vrillent le regard, tourbillonnent dans l'espace, créent des jeux vivants et labyrinthiques avec le vide, passent de la majesté hiératique à l'étrangeté organique... Elles s'enroulent parfois sur elles-mêmes, décelant et conservant dans le même temps leur secret, leur âme. Oui, on peut aller jusqu'à parler avec Tony Cragg d'âme, tant ses œuvres semblent vivantes et mouvantes, physiquement et psychiquement. L'artiste anglais né en 1949 à Liverpool, passionné de jazz et de littérature française, s'est, dès les années 1970, opposé à l'art minimal américain et à ses formes déshumanisées, à sa géométrie froide, voire à son utilitarisme et à son fonctionnalsime glissant vers le design. Partant d'objets de récupération ou de matériaux plus tradictionnels, Tony Cragg s'inscrit certes dans le domaine de l'abstraction, au sens où il ne représente aucun motif  figuratif déterminé. Mais son abstraction n'en est pas moins terriblement tellurique, émotionnelle, ultrasensible. Le potentiel de rêverie et de poésie de ses œuvres est extraordinaire. Et l'on s'étonne soi-même de passer un temps indéfini à tourner autour de ses œuvres et à y vivre des sensations nouvelles «à chaque tour de piste».

Voyage initiatique

Avec ses accumulations de verres ou de bocaux polis au sable, Tony Cragg montre aussi à Saint-Etienne la facette fragile et déroutante de sa sculpture. Et ne cesse aussi d'osciller, d'une salle à l'autre, entre des polarités opposées  : la transparence et l'opacité, la légèreté et la pesanteur, la fragilité et l'épaisseur, l'équilibre et le déséquilibre. Certaines sculptures semblent au borde de la chute, d'autres fracassent toute idée de géométrie ou de forme schématique reconnaissable. Tony Cragg précise lui-même que sa sculpture «est le fondement d'un voyage initiatique qui nous offre un aperçu d'une myriade de formes encore jamais vues jusqu'à présent. Si la science tente d'expliquer l'aspect physique de notre réalité, ce sont la sculpture et l'art qui lui donnent sa valeur et son sens.» L'exposition au musée est ainsi conçue comme «un voyage» singulier parmi ses œuvres anciennes et, surtout, récentes, et non pas comme une rétropsective. Un voyage qui n'a rien d'ésotérique mais qui s'offre comme une ouverture généreuse à la complexité de la vie.

Tony Cragg, Oeuvres récentes, jusqu'au 5 janvier 2014 au Musée d'art moderne de Saint-Etienne Métropole


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