La mémoire ou les choses

«Là, de la plaie ouverte sur vingt centimètres de long, coulait un liquide orange où brillaient des milliers de pierres d'ambre (…) c'était magique. Judith observait le résultat».


 La boîte aux objets perdus, rassemble dix nouvelles écrites par Chrystel Duchamp et les illustrations d'Eric Barge. C'est d'abord le récit de personnages aux mœurs anodins, des âmes isolées, «perdues», que guettent de près comme de loin, les drames sans larme collectés dans la boîte aux objets perdus. Des questions existentielles ordinaires sont à l'origine des déséquilibres qu'amplifie la psychologie des personnages. « Elle avait découvert son anomalie», les traits de personnalité se recoupent d'une nouvelle sur l'autre. L'on sent la folie tapie. Comme l'écho l'est à l'espace vacant, en rebond, les personnages imprécis se croisent sans se rencontrer dans des paysages qui flottent, dessinés par une ligne narrative et un style dépouillé. Créant de légers impacts, ils annoncent les nouvelles à suivre, sans ordre chronologique choisi. Une certaine forme d'animisme fait des objets les familiers de leurs propriétaires, et la partie-liée qu'ils nouent avec l'intrigue est très étroite. Des objets qui, après avoir été destitués de leurs propriétaires tenus pour morts, en sont écartés comme des preuves gênantes, témoins spécifiques des troubles passés dont ils gardent la trace. Chaque nouvelle à son objet, ou sa pièce à conviction. Ce sont eux qui tiennent le fil rouge du recueil et qui constituent la raison du récit.

Témoins à charge

Un recueil polymorphe dans sa manière d'aborder les sujets où l'indéfini donne le ton et joue de ses tiroirs. C'est ainsi que de la même manière sujet et objet s'imbriquent, et que la forme double sa fonction : l'objet du récit est son propre support et celui-ci prend part à l'intérêt littéraire. Ambiance fantastique, second degré et sens caché, page après page la mort se fait plus certaine et nous révèle le sens de la boîte mystérieuse. Non-lieu. Par la force de l'habitude ou de la honte, morne, la mort s'exécute. Sur la page dépositaire, l'écriture signe. Elle allie la sale bête et l'amour, et les reliques aux vivants côte à côte avec la saloperie en mal de raccourcis. C'est sans compter sur cette fausse alliée : tourner la page, faire de celle-ci le suaire de ces choses et de leurs raisons d'être qui d'abord animées, ont été privées de souffle, happées. "J'avais fourré mon trésor dans ma poche. Je culpabilisais à en mourir. Puis, j'ai senti la présence de quelqu'un venant s'asseoir à ma droite"...

La boîte aux objets perdus, écrit par Chrystel Duchamp, illustré par Eric Barge, mis en page, édité, financé par les auteurs et imprimé en juillet 2013 par IGC à Saint-Etienne.


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