La Vénus à la fourrure

Une actrice, un metteur en scène, un théâtre et La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch : un dispositif minimal pour une œuvre folle de Roman Polanski, à la fois brûlot féministe et récapitulatif ludique de tout son cinéma. Christophe Chabert


La caméra remonte un boulevard sous l'orage et s'engouffre dans un théâtre, sur une musique de sabbat païen. À l'intérieur, Thomas, auteur et metteur en scène d'une adaptation de La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch, y peste au téléphone contre les jeunes actrices idiotes qu'il vient d'auditionner pour le rôle de Wanda. Et soudain surgit une dernière comédienne, trempée des pieds à la tête, plus toute jeune et même pas sur le planning des auditions, qui mâche ostensiblement son chewing-gum et parle «genre» comme une charretière. Elle supplie Thomas de lui laisser sa chance et, de guerre lasse, il accepte de lui donner la réplique. Soudain, la voici métamorphosée, instantanément juste, débarrassée des oripeaux de la gourde citadine, crédible en demoiselle autrichienne du XIXe siècle.

La déesse du carnage

Ce n'est que le premier des nombreux jeux de rôles qu'orchestre Roman Polanski avec une étourdissante virtuosité. Chez Sacher-Masoch, le héros tombait sous le charme de Wanda et acceptait de devenir son esclave ; dans le dispositif gigogne et ludique de Polanski, il s'agit avant tout de renverser les positions du metteur en scène qui dirige et de l'actrice qui se soumet. Et, un cran plus loin encore, d'empêcher l'homme d'avoir le dernier mot sur la femme… Utilisant toutes les capacités de la mise en scène pour faire vaciller les repères du spectateur et créer une ambiance de complot au milieu de cette jouissive comédie en huis clos, Polanski propose une infinité de lectures possibles. D'abord, celle d'un brûlot féministe rageur où, comme dans son précédent Carnage, on sent le cinéaste remonter contre une humanité qui, il est vrai, ne lui a pas fait de cadeaux ces dernières années. Ensuite, celle d'une œuvre qui fait défiler toutes ses obsessions et ramène des pans entiers de son cinéma — du Locataire à Lunes de fiel. Enfin, un hommage sublime à sa compagne Emmanuelle Seigner, extraordinaire dans un rôle où elle doit passer sans cesse du surjeu à la justesse, de la théâtralité au naturel. Face à elle, Matthieu Amalric finit par ressembler à Polanski jeune, et cette transparence-là intensifie le trouble formidable qui habite La Vénus à la fourrure, comme si Polanski, ce monstre de maîtrise, avouait que celle-ci n'avait dans le fond pas toujours été habitée par les meilleures intentions.

La Vénus à la fourrure
De Roman Polanski (Fr, 1h31) avec Matthieu Amalric, Emmanuelle Seigner…
Sortie le 13 novembre


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