Révolution(s)

Un musicien folk raté pris dans une odyssée métaphysique, une prise d'otages maritime, un post-ado qui voyage dans le temps : en novembre, le grand cinéma est d'humeur changeante. Christophe Chabert


Les frères Coen ont atteint un tel niveau de maîtrise depuis No country for old men que faire des comparaisons entre leurs derniers films est assez spécieux. Disons plutôt qu'Inside Llewyn Davis (6 novembre) se situe dans la veine métaphysique de Barton Fink et A serious man, même s'il a aussi sa propre humeur, celle de son anti-héros, musicien folk ayant à peu près tout raté — sa carrière comme sa vie sentimentale. Sa drôle d'odyssée passe par la quête d'un chat à travers les rues de New York, une rencontre avec un jazzman obèse et junkie, un voyage pour rencontrer un producteur mythique… Les Coen font de Llewyn Davis un être brinquebalé par le hasard, pour qui l'inachèvement tient lieu de nature — autrefois, il formait un duo, et sa vie semble claudiquer à cause de cette moitié disparue — et dont l'existence prend la forme d'un 33 tours rayé, ce que la construction circulaire du récit souligne tout en lui conférant une dimension presque kubrickienne. Aussi émouvant que drôle, formidablement dialogué comme d'habitude — la grandiose séquence entre Llewin et son vieux manager dur d'oreille mais surtout âpre au gain — Inside Llewyn Davis est assez immense.

Contre la montre

Avec Capitaine Phillips (20 novembre), Paul Greengrass confirme qu'il est un des très grands cinéastes contemporains, ayant réussi à inventer une forme — un hyper-réalisme qui donne à ses fictions des allures de docus pris sur le vif — qui lui a permis de révolutionner le cinéma d'action. Ici, c'est une prise d'otages aux larges des côtes somaliennes qu'il raconte avec une tension maximale, constamment dans l'urgence, adoptant plusieurs points de vue et donnant, comme dans Vol 93, une vision à la fois chaotique et plurivoque de l'action, où le facteur humain, la raison militaire et la géopolitique nord-sud sont pris dans un tourbillon impressionnant. Quant à Tom Hanks, la star se fond au milieu des non professionnels avec une aisance confondante.

Après cette déflagration, un peu de douceur du côté de Richard Curtis et son Il était temps (6 novembre). Quoique… Si le maître de la comédie romantique anglaise — Love actually, aaaah ! — injecte à sa recette un poil de concept façon Un jour sans fin — le héros peut voyager dans le temps et modifier les événements de son existence ­—, c'est pour mieux nous retourner au final avec un mélodrame superbe sur la transmission entre les pères et les fils. Un beau film secret, qui comme son héros, semble prendre son temps pour trouver un espace d'émotion pure et profonde.


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Scarface, Cubain de vulgarité