IAM : La scène reste le meilleur réseau social

Dans l'histoire du rap français, le groupe IAM fait figure de légende. Après la sortie de leurs supposés deux derniers albums (Arts Martiens et... IAM), les cinq Marseillais ont entamé une gigantesque tournée qui les emmènera jusqu'à début 2015. Shurik'n et Imhotep, de passage avec le groupe à Saint-Étienne le 1er février au Zénith, ont pris le temps de répondre à quelques questions. Propos recueillis par Nicolas Bros.


Votre dernier album ... IAM sorti en novembre 2013 a été enregistré en même temps qu'Arts Martiens. Est-il son jumeau ?

Shurik'n : Ces deux disques ont en effet été enregistrés à la même période mais ne sont pourtant pas «jumeaux» car chacun a son caractère propre. Mais il y a derrière ces deux albums le même état d'esprit.

Quelles caractéristiques les distinguent justement ?

Imhotep : Il y a des textes plus engagés, plus mordants sur ... IAM ainsi qu'une musique plus «uptempo». Au départ, ce n'était absolument pas calculé. Cela vient simplement du fait que lorsque l'on monte un tracklisting pour un album, au-delà de la qualité des titres que l'on apprécie ou pas, il faut trouver une unité et une cohérence. Nous sommes parfois obligés d'éliminer certains morceaux qui nous plaisent énormément.

A travers vos textes engagés, vous parlez de l'actualité en France qui n'est malheureusement pas souvent très réjouissante. Quel est votre point de vue sur ce que l'on vit en France depuis plusieurs années ?

Imhotep: On parle souvent de crise, nous préférons parler de braquage orchestré par les banquiers et les traders. Nous avons un système économique cruel. On a longtemps espéré que les politiques pourraient changer les choses mais on s'aperçoit aujourd'hui que les politiciens passent et que le système reste le même. On a perdu nos illusions et compris que les politiques ne sont que des marionnettes aux mains des grandes entreprises qui nous gouvernent.

Est-ce que selon vous, le rap doit continuer à dénoncer ce qui ne va pas et appuyer les bonnes initiatives ?

Shurik'n : Bien sûr ! Mais ce que nous demandons surtout, c'est un droit à la diversité et à une certaine nuance. Demande que les autres courants musicaux n'ont pas ou plus à faire. Nous sommes malheureusement en quête d'une place et d'une considération plus grande pour notre musique.

On a lu un peu de partout que ce dernier album pourrait être votre dernier disque. Est-ce que vous pourriez nous parler de votre relation au disque désormais ?

Imhotep : Les maisons de disques, malgré les changements de technologie et de consommation de la musique, ont voulu préserver leur marge. Partant de là, moins on vend, moins on investit sur nous. Il est vrai qu'avec IAM, nous nous sommes habitués à un certain confort de travail. Non pas que nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons avec moins de moyens mais si l'on veut continuer à faire rêver les gens et à rêver nous-même, il faut pouvoir continuer à réaliser des clips, faire de la promo pour les albums, etc. Avec un groupe tel qu'IAM, toutes ces choses demandent certains moyens. Retrouver une maison de disques prête à nous suivre avec les conditions dans lesquelles nous avons l'habitude de travailler, c'est compliqué.

D'ailleurs, l'album... IAM n'était pas sûr de sortir. Sa publication dépendait des chiffres d'Arts Martiens ?

Shurik'n : Il était conditionné par les résultats d'Arts Martiens. Même si les titres présents sur... IAM ont été enregistrés au même moment et qu'une dizaine de morceaux avaient déjà été mixés. Mais cela était déjà arrivé pour certains de nos albums sauf qu'à l'époque, il y avait encore les maxis et nous pouvions offrir des bonus, des versions inédites que nous estimions de qualité.

Donc aujourd'hui, la scène est devenue primordiale pour IAM ?

Shurik'n : Elle l'a toujours été. Avant même de signer notre premier contrat en maison de disques, on avait déjà 200 concerts au compteur. On a commencé par là et c'est resté notre fil conducteur. La scène, la rencontre avec les gens et le feed-back immédiat restent ce que l'on a fait de mieux en matière de réseau social.

Êtes- vous déjà passés à Saint-Étienne ?

Shurik'n : Oui, nous sommes venus très tôt en promo et en concert. J'ai d'ailleurs une pensée émue pour Captain Bob, parti trop tôt, et son émission de radio à laquelle on avait participé avec grand plaisir.

Lors de votre retour le 1er février en terres stéphanoises, qu'allez-vous proposer au public ?

Imhotep : Ce sera le même show que sur les autres dates de la tournée. Même tarif pour tout le monde ! (rires) Nous n'avons pas l'habitude de faire de différence entre les salles. A Saint-Étienne, le public partira pour plus de deux heures de show avec nous, le même qu'à l'Olympia ou à Marseille. Nous allons voyager à travers le temps avec des classiques et des nouveaux titres. Bien sûr, ceux qui nous connaissent savent qu'il y a toujours quelques petites différences, parfois des petites exclus mais il n'y a jamais de grands changements.

Vous êtes mordus de ballon rond et surtout de l'Olympique de Marseille, mais est-ce que vous aimez un peu les Verts de Saint-Étienne ?

Shurik'n : Saint-Étienne, c'est un peu une madeleine de Proust. Ça me ramène des années en arrière. C'était Le Club ! Toute la France était derrière. Beaucoup de jeunes ne comprendront pas trop de quelle époque je parle mais les Verts, ça a été le club qui a donné de l'espoir à tout le pays. Comme pour l'OM, dans toutes les villes il y a des bars de supporters. C'est un phénomène existant seulement pour Marseille et Saint-Étienne.
Imhotep : C'est dans la ferveur des supporters que l'on voit les clubs qui ont une âme. Il y a certains clubs qui ont peut-être plus de budget et de réussite mais il n'ont pas autant d'âme que l'OM et l'ASSE.

Quelle est votre vision de la scène hip hop française actuelle. Est-elle encore créative ?

Shurik'n : Oui, elle reste vivace. Il ne faut pas confondre la partie émergée de l'iceberg et ce qu'elle est réellement. Le rap, comme nous l'appelons, qui est redevenu mainstream aujourd'hui, c'est le rap qui dans les années 90 était underground. Le rap français reste très dynamique. On le voit avec l'arrivée d'artistes comme Orelsan, très créatif autant au niveau visuel que musical, 1995 avec un esprit très «culture hip hop», Youssoupha qui est un auteur de talent, etc. Il faut juste une plus grande médiatisation de ces artistes.
Imhotep : Il faut que les radios de service public passent du rap. Ce serait bien, au bout de 25 ans, qu'elles commencent à diffuser la musique la plus écoutée dans leur pays... C'est pareil pour les radios privées car pour l'instant, il n'y en a qu'une, ce qui permet aux autres de se décharger de leurs responsabilités. Il y a encore du travail dans la reconnaissance de l'importance du rap en France. On le voit d'ailleurs dans la difficulté d'organiser de gros événements musicaux rap par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne.

Certains de vos textes sont désormais utilisés par certains professeurs de français. Est-ce une fierté pour vous ?

Shurik'n : Déjà, ça ferait rire mes anciens profs de français. Ça les estomaquerait même ! (rires)
Imhotep : Cela nous fait extrêmement plaisir, bien entendu. Cela montre que ces profs qui prennent ces initiatives ont pris le temps d'écouter ou de lire nos textes. J'ai été moi-même enseignant et j'avais compris que pour qu'il apprenne, il faut d'abord éveiller le centre d'intérêt chez élève. Pour faire apprécier la poésie aujourd'hui, je ne vois pas d'autre moyen aussi fédérateur que le rap.
Shurik'n : Le rap est un outil conséquent. On peut amener certains jeunes à prendre goût à l'écriture et à l'utilisation des mots.
Imhotep : La prochaine étape consistera en la possibilité pour les profs de musique de créer des mixtapes et des albums avec les élèves et enfin remplacer la flûte à bec. J'ai bon espoir pour que dans une trentaine d'années on y arrive... 

IAM au Zénith de Saint-Etienne, le samedi 1er février 2014 à 20h30


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