Redonner vie et goût au Minimalisme

Rappelant le contexte historique du Minimalisme américain à travers des œuvres de ses collections, le Musée d'art moderne expose parallèlement deux de ses illustres héritiers new-yorkais : le sculpteur Joel Shapiro et le peintre Peter Halley. Deux artistes passionnants très peu exposés en France. Jean-Emmanuel Denave


New York, 1959. Au Museum of Modern Art, Frank Stella (né en 1936) expose ses Black painting, une série de toiles composées uniquement de bandes noires de 6cm de large. «Ma peinture est basée sur le fait que seul s'y trouve ce qui peut être vu» déclare l'artiste qui refuse  toute signification sous-jacente à ses tableaux et n'y exprime rien de personnel. Certains historiens feront de cette exposition le point d'origine du Minimalisme américain. Dans les années 1960, avec Frank Stella, avec Donald Judd, Dan Flavin, Carl Andre et d'autres, la subjectivité et l'émotion passent à la trappe au profit de la forme seule, autonome, géométrique souvent, et de ses rapports spatiaux avec le lieu d'exposition et la perception du spectateur. À propos des peintures à bandes de Stella, Carl Andre renchérit : «L'art exclut le superflu, ce qui n'est pas nécessaire. Pour Frank Stella, il s'est avéré nécessaire de peindre des bandes. Il n'y a rien d'autre dans sa peinture. Frank Stella ne s'intéresse pas à l'expression ou à la sensibilité. Il s'intéresse aux nécessités de la peinture». Pour les Minimalistes, tout se passe comme si la peinture (ou la sculpture) se développait et s'imposait d'elle-même, selon ses propres règles et potentialités, et que l'artiste n'en était que l'agent de transmission. Une idée moderniste stimulante mais qui donne lieu souvent à des œuvres pour le moins austères ! On pourra le vérifier dans certaines salles que le musée consacre aux Minimalistes : les volumes “glaciaux“ en aluminium ou en acier de Donald Judd, les cubes modulaires “imperturbables“ de Sol LeWitt, la ligne de petits pavés grisâtres de Carl Andre...

Les pieds sur terre

Si, au cours du temps, les Minimalistes ont mis de l'eau dans leur vin (et des couleurs dans leurs tableaux comme dans le chatoyant Fladrine de Frank Stella peint en 1994), leurs successeurs “post-minimalistes“ se donnent beaucoup plus de libertés encore. Le sculpteur Joel Shapiro (né en 1941), véritable star aux États-Unis et peu exposé en France, n'hésite pas à (re)parler d'inspiration, d'épiphanie, voire de transe, pour décrire son processus de création. Ses œuvres composées, certes, de volumes géométriques simples, esquissent cependant des silhouettes anthropomorphes, renouent avec l'évocation du corps et des références à la réalité individuelle ou collective. «Shapiro, écrit le critique d'art Richard Shiff, relie son art non seulement aux choses du monde mais également à ses propres pensées, son psychisme, ses émotions. Il a déclaré un jour que «tout signe abstrait a quelque chose à voir avec le fait d'être une personne au monde»... Il entendait que toute œuvre, même si elle ne représente rien d'autre, figure la présence émotionnelle de l'artiste ». Après le Minimalisme pur et dur, il y a à nouveau un sujet humain derrière les œuvres de Shapiro qui semblent alors plus “parlantes“, plus “touchantes“ pour le spectateur. Les deux sculptures monumentales en bronze qu'il présente à Saint-Étienne dégagent même une impressionnante énergie, une puissante vitalité. On regrette qu'il n'en présente pas davantage et que son travail plus discret, dans une seconde salle, autour de la forme archétypale de la maison s'inscrive mal dans l'espace du musée.

Les yeux dans la technologie

Comme Shapiro, le peintre Peter Halley (né en 1953) s'inspire pour ses tableaux de ses souvenirs, de ses peurs ou de ses joies, de ses lectures (Michel Foucault, Jean Baudrillard...) et de ses observations critiques sur le fonctionnement des sociétés postindustrielles. «J'ai toujours pensé à mes travaux comme représentant quelque chose, je n'ai jamais compris l'abstraction» ira-t-il jusqu'à déclarer ! Une affirmation surprenante quand on découvre sa trentaine de toiles exposées au MAM qui se composent toutes d'un nombre restreint de motifs, si ce n'est “abstraits“, en tout cas extrêmement simplifiés : des carrés, des grilles, des “conduits“ rectangulaires. Peu à peu, on comprend que tous ces signes et formes minimales évoquent directement la géométrisation des architectures contemporaines, les grilles des prisons ou des résidences sécurisées, les réseaux routiers, les circuits électroniques, l'informatisation... L'artiste ne cesse d'en varier les configuration et, surtout,   les colore d'une palette un peu folle, allant des tons les plus froids aux tons les plus stridents, acides, fluos. L'accrochage se transforme alors en véritable “trip sensoriel“, plongeant le visiteur parmi des couleurs vertigineuses et des motifs hypnotiques, qui résonnent avec son environnement familier... Avec Peter Halley, avec Joel Shapiro, l'œuvre d'art reste fidèle aux principes de simplification et de relative autonomie des Minimalistes, mais démultiplie ses puissances de vie et de signification.

Joel Shapiro, Peter Halley, jusqu'au 18 mai au Musée d'art moderne de Saint-Etienne Métropole


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