Les Bruits de Recife

Formidable premier film du Brésilien Kleber Mendonça Filho, cette exploration d'une psychose sécuritaire au motif incertain importe les codes du cinéma de genre dans un récit prenant, mis en scène avec un sens spectaculaire de l'espace et du son. Christophe Chabert


Un jeune couple s'embrasse goulûment dans une ruelle ; un gamin frappe son ballon contre un mur ; un chien aboie la nuit… Ce sont les bruits que les résidents de ce quartier aisé de Recife entendent dans les premières séquences du film. Bruits anodins mais que cette classe moyenne paranoïaque, persuadée d'une menace alentour, prend comme la manifestation d'un danger. À cela s'ajoute le vol chronique d'auto-radios et l'arrivée de deux individus proposant d'assurer jour et nuit la sécurité des habitants… Et voici lancée l'implacable mécanique de ce premier film signé Kleber Mendonça Filho — un nom à retenir impérativement.

La multiplication des personnages laisse à penser que Les Bruits de Recife va travailler une chronique chorale sur le modèle Dodeskaden… En fait, sa structure en chapitres trace un dessin beaucoup plus complexe ; si chaque destin semble avancer de manière autonome, une même angoisse sourde les réunit. Mais quelle en est la cause ? Les pauvres qui traînent dans les rues sont tous intégrés dans cet écosystème économique — les femmes de ménage comme ce marginal qui fournit en eau fraîche mais aussi en marijuana de qualité une bourgeoise au foyer à cran, même le mouton noir de la communauté — qui n'est autre que le petit-fils du vieillard friqué qui gouverne le quartier — tient plus de la grande gueule rebelle que du caïd…

Les fris-sons de l'angoisse

Mendonça Filho s'applique pour faire monter cette tension, entretenue à la fois par l'habileté du scénario et la précision de la mise en scène. Niveau écriture, le film ne cesse d'ouvrir de nouvelles pistes qu'il se refuse à résoudre, quand il ne les renverse pas comme un gant. Niveau mise en scène, le cinéaste creuse à la fois les perspectives visuelles et sonores, via de lents mouvements d'appareil qui redessinent ses cadres somptueusement composés en scope et une intensification des bruits et rumeurs de la ville, dans une forme à la fois contemplative et spectaculaire.

Dans la deuxième heure, Mendonça Filho laisse entrer des visions horrifiques dignes de John Carpenter — une cascade de sang, un enfant surgissant dans le couloir d'une maison vide — tout en aiguisant son discours social. Lors d'une assemblée de copropriétaires, on mesure ainsi l'égoïsme revanchard de ces nouveaux riches brésiliens. Et si les spectres invisibles qui hantent ce film formidable n'étaient que le retour de leur mauvaise conscience ?

Les Bruits de Recife
De Kleber Mendonça Filho (Brésil, 2h11) avec Irandhir Santos, Gustavo Jahn…


<< article précédent
Arrête ou je continue