Vent de jeunesse sur la rentrée cinéma

Moins flamboyante que l'an dernier, la rentrée cinéma 2014 demandera aux spectateurs de sortir des sentiers battus pour aller découvrir des films audacieux et une nouvelle génération de cinéastes prometteurs. Christophe Chabert


Si l'extraordinaire Leviathan ne lui avait ravi in extremis la place de chouchou de la rentrée cinéma, nul doute qu'elle aurait échu à Céline Sciamma et son très stimulant Bande de filles (sortie le 22 octobre). Troisième film de la réalisatrice déjà remarquée pour son beau Tomboy, il suit le parcours de Meriem, adolescente black banlieusarde qui refuse la fatalité d'une scolarité plombée et se lie d'amitié avec une «bande de filles» pour faire les quatre cents coups, et en donner quelques-uns au passage afin d'affirmer sa virilité dans un monde où, quel que soit son sexe, la loi du plus fort s'impose à tous. Cette éducation par la rue et le combat n'est pas sans rappeler les deux derniers films de Jacques Audiard ; Un prophète en particulier, puisque Sciamma cherche elle aussi à filmer l'éclosion dans un même mouvement d'une héroïne et d'une actrice — formidable Karidja Touré.

S'il y a bien une comédienne qui est en train d'exploser sur les écrans, c'est d'évidence Shailene Woodley. Star de la saga teen Divergente et du mélo Nos étoiles contraires, elle a tapé dans l'œil de Gregg Araki qui en a fait son White bird (15 octobre) pour un beau film mélancolique où Woodley, adolescente en pleine confusion intime après la disparition inexpliquée de sa mère (Eva Green), tente de trouver son chemin entre cette absence et le besoin d'avancer vers l'âge adulte. Si l'onirisme pop rappelle Kaboom, la délicatesse du regard d'Araki sur ses personnages renvoie plutôt à son chef-d'œuvre Mysterious skin. C'est en tout cas la preuve que le cinéaste a atteint une maturité créative sereine et incontestable.

À 26 ans, on n'en demandera évidemment pas tant à Xavier Dolan ; son cinquième film, Mommy (8 octobre), est sans conteste son plus réussi, mais il prouve aussi que le petit prodige a encore du chemin à faire pour convaincre totalement. S'y révèle à la fois un goût pour la comédie insoupçonnée, éclatante dans les scènes d'engueulade démentes entre un garçon imprévisible et sa mère débordée, mais aussi une tendance aux affèteries stylistiques et à la surenchère mélodramatique ; il ne faut pas nier la force de Mommy, mais pas minimiser ses faiblesses non plus.

Sans foi, ni loi

Qu'on aime ou pas son film, Dolan représente le chef de file d'une génération de cinéastes internationaux en pleine émergence, dont cette rentrée se fera l'écho. Des États-Unis, Damian Chazelle livre un premier film remarquable, Whiplash  (24 décembre) ; soit l'affrontement entre un apprenti batteur de jazz et son professeur perfectionniste jusqu'au sadisme, mais aussi une critique d'autant plus cinglante de l'idéal de réussite américain qu'elle se fait dans une œuvre au diapason frénétique et entraînant des morceaux musicaux qui la rythment.

D'Angleterre, Yann Demange signe une autre première œuvre, 71 (29 octobre), qui transpose au conflit irlandais les leçons des vietnam movies américains, avant de s'aventurer vers le thriller urbain lyrique et violent,   le tout porte par une mise en scène immersive et maîtrisée. 

De France, Jean-Charles  Hue réalise l'étonnant Mange tes morts (17 septembre), qui démarre comme la chronique naturaliste d'une communauté de gitans avant de bifurquer insensiblement  vers un polar qui n'a rien à envier à Michael Mann.

Enfin, d'Allemagne, Dietrich Brüggeman attisera les polémiques avec Chemin de croix (29 octobre), martyre d'une adolescente écartelée entre sa famille ultra-catho et la naissance de son désir. Filmé en longs plans fixes aux compositions maniaques, Chemin de croix appartient à la veine, aussi contestable que fascinante, du cinéma de la cruauté hérité d'Haneke et d'Ulrich Seidl.

On ajoutera deux outsiders à suivre de près : le Belge Michaël R. Roskam,   auteur du génial Bullhead, parti tourner en Amérique le polar Quand vient la nuit (12 novembre) avec Tom Hardy ; et la Française Mia Hansen-Love, qui revient sur le mouvement de la French touch dans Eden (19 novembre). Sans parler de l'insaisissable Anton Corbijn qui, après avoir romancé la vie de Ian Curtis et transformé Clooney en tueur leonien dans The American, dirige le regretté Philip Seymour Hoffman dans une nouvelle adaptation de John Le Carré, Un homme très recherché (17 septembre).

Paradis : espoir

Pour ceux que ce mitraillage de nouveaux noms prometteurs désoriente, sachez que quelques grands cinéastes confirmés seront de la partie d'ici fin 2014. À commencer par Alain Cavalier, avec non pas un mais deux films : Le Paradis (8 octobre) et Cavalier Express (12 novembre), réunion de courts-métrages tournés par ce filmeur insatiable.

On attend beaucoup du nouveau Tim Burton, qui revient à une production artisanale après ses années industrielles passées entre Disney et Warner — et délaisse un temps Johnny  Depp pour mettre en scène Christoph Waltz dans Big Eyes (24 décembre). Quant à Woody Allen, il s'offre une nouvelle villégiature touristique — du côté de la Provence, cette fois — avec Magic in the moonlight (22 octobre).

Mais les deux très gros morceaux de la saison seront à mettre au crédit de deux cinéastes aventureux et perfectionnistes, même si les cinéphiles ont tendance à les opposer l'un à l'autre. À ma droite, Christopher Nolan, qui s'aventure dans l'espace aux côtés de Matthew MacConaughey et Anne Hathaway pour Interstellar (5 novembre) ; et à ma gauche, David Fincher, qui creuse un peu plus laveine du film criminel — la plus féconde de sa carrière, cf Seven et Zodiac — dans Gone Girl (8 octobre), avec un Ben Affleck redescendu du généreux piédestal oscarisé d'Argo.


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