Vestiges de l'amour

Dans un face-à-face étourdissant et éreintant, un couple se déchire avec la violence d'un combat de tranchées : c'est une "Clôture de l'amour", du nom de la pièce de Pascal Rambert, portée au plateau avec force par Stanislas Nordey et Audrey Bonnet. Nadja Pobel


Comment ça va avec la douleur ? Combien de temps peut-on supporter d'être anéanti ? Le spectacle Clôture de l'amour pose ces questions rugueuses ni drôles ni légères mais percutantes et laisse comme une impression de coup de poing dans la mémoire des spectateurs qui en ont font l'expérience. Créée à Avignon en 2011, cette pièce ne cesse depuis de tourner et de déverser sur les scènes de France une guerre. Celle des sentiments qui foutent le camp et dévastent tout sur leur passage. Sur un plateau nimbé d'une lumière blanche, nous voilà dans un lieu neutre, une salle de répétition. Car les deux protagonistes sont comédiens apprend-on. D'ailleurs Stanislas Nordey joue Stan et Audrey Bonnet joue Audrey. Pascal Rambert, l'auteur et metteur en scène, a souhaité gardé les prénoms des comédiens, avec leur autorisation pour, selon lui, qu'ils soient plus à l'écoute l'un de l'autre que s'ils s'appelaient Phèdre et Hippolyte. Mais au fond peu importe ce qu'ils font, qui ils sont, comment ils se nomment. Ils sont là, deux figures bien arrimées au sol, campant chacun à un bout de la scène. Il attaque. Il la quitte : «Je voulais te voir pour te dire que ça s'arrête. On va pas continuer». Durant une heure, il ne la lâchera pas, éructant, criant, faisant parfois le malin avec des «éléments de langage» qu'il maîtrise forcément - il a le savoir et la connaissance - mais qui ne lui sont ici d'aucune aide, si ce n'est pour faire illusion, gommer sans y croire la souffrance et le goût du sang. En face, elle n'a ni la place (il s'avance en permanence hors de son terrain) ni le temps de répondre, peut-être même pas la force de le faire, mais elle prépare en silence les munitions qu'elle dégoupillera après lui, pendant une heure elle aussi.

Nous est un autre
À ceux qui penseraient assister à une bluette qui tourne mal ou à un énième remix des histoires d'amour qui finissent mal en général par des artistes en pleine catharsis, qu'ils sachent qu'ils font fausse route. Pascal Rambert sait aussi s'élever au-dessus de ses personnages et il interroger le rapport à l'autre, laissant entrevoir une pensée quasi-politique du rapport humain, sur le thème de l'appartenance, de la possession et par extension du libre-arbitre. Écrit comme avant l'invention du dialogue et l'introduction d'un deuxième acteur par Eschyle, ces monologues sont construits en miroir, les phrases de l'un répondant à celles de l'autre. Sauf qu'au lieu de les débiter en tranches, les protagonistes les crachent les unes à la suite des autres, en un seul bloc. Et instantanément, observer comment le corps de l'un reçoit les mots de l'autre est aussi important que d'écouter. Avec un texte qui serre les tripes, et grâce à deux comédiens exceptionnels, Pascal Rambert signe un spectacle à la fois simple et insensé.

Clôture de l'amour, du 13 au 15 novembre à 20h, Comédie de Saint-Étienne



Légende photo : Clôture de l'amour ou un face à face entraînant


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