Champs magnétiques

Alors que "Soumission", le nouveau roman de Houellebecq est sur toutes les lèvres et constitue un événement, bien heureusement, littéraire, Julien Gosselin, 27 ans, propose une adaptation fidèle, énamourée et passionnante des "Particules élémentaires" avec sa troupe habitée par ce roman d'anticipation. Créé dans le In d'Avignon en 2013, le voilà enfin livré à domicile. Nadja Pobel


Quand en 1998 sort Les Particules élémentaires, Michel Houellebecq n'est pas encore (mais le devient alors) une figure publique. Et Julien Gosselin, qui met en scène pour la première fois en France ce texte, a à peine dix ans. La lucidité (le cynisme diront les bénis oui-oui) qui irradie ce roman, est une anomalie chez les écrivains hexagonaux contemporains. Il y en a de très grands (Carrère, Modiano, Le Clézio, Echenoz…) mais ils n'embrassent pas la société dans son ensemble comme Houellebecq. Le mérite premier de Gosselin et sa troupe est de faire éclater à nouveau la qualité et la profondeur de ces assez autobiographiques Particules élémentaires. Ils revendiquent de rendre hommage à l'auteur à tel point qu'il est présent deux fois, sous la forme de Michel et d'un narrateur, double physique de l'écrivain ; le faire tanguer ne les intéresse pas le moins du monde. Tant mieux. Le théâtre-récit est donc la forme avec laquelle ils jouent, enchaînant des séquences souvent monologuées, donnant la place à chacun des personnages au cours de 3h40 qui ont du souffle.

Rester – mort - vivant

Alternant les périodes (2076, 1998 et les années 60 et 70), Gosselin manie avec dextérité musique live, vidéo, déclamations micro en main sans que ça n'alourdisse le propos prouvant que sa génération est née avec ces éléments-là. Il est aussi capable de manier les scènes tragiques (les plus bouleversantes de la pièce) comme les plus déglinguées au pays des hippies flétris. Michel et son demi-frère Bruno racontent donc comment ils sont nés de parents bien absents et soixante-huitards («de ceux qui avaient l'esprit car ils n'avaient rien fait en 68», faut pas déconner). L'un sera obsédé par les filles et son propre plaisir, l'autre, Michel, sérieux, devient un ponte du clonage scientifique au CNRS. Ils passent à côté de l'amour mais se croisent. Pire, peut-être même, ils se complètent, l'un renvoyant ses mots à l'autre dans un ping-pong là encore bien mené. Plaçant le texte au cœur du plateau, Gosselin ne s'embarrasse pas de décor ; un simple tréteau et quelques marches en fond de scène font l'affaire. Il abonde de l'ellipse nous faisant passer du cimetière de Crécy-la-Chapelle à un appartement du XVIIe sans vergogne mais avec intelligence. Le propos, l'incapacité des humains à s'aimer, est étourdissant. Les marottes de l'écrivain sont disséminées (la télé avec Motus en incrustation, l'Irlande, les féministes, le douloureux désir d'enfantement…). Et si la libération sexuelle a été une liberté gagnée, elle n'a pas été un apaisement dans cet «ancien règne» puisque qu'elle tend vers le libéralisme que «le bonheur est effroyable». Chez Houellebecq, le tragique est à tous les étages, même la couleur d'une maison est «d'un blanc impitoyable». Le bonheur s'en est allé mais une grande troupe de théâtre est née.

Les Particules Élémentaires, de M. Houellebecq, adapt. et ms. J. Gosselin, avec G. Bachelé, J. Drouet, ... du mer 21 au ven 23 janvier à 19h, Comédie de Saint-Étienne


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