Firminy la radieuse

Injustement moins connue que la cité radieuse de Marseille, Firminy-Vert est pourtant le plus grand ensemble que Le Corbusier ait édifié en Europe. 50 ans après la mort de l'architecte, (re)découverte de ces cinq sites, peut-être enfin bientôt classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. Nadja Pobel


Avec son chômage forcément trop haut (13, 3% - INSEE 2011), une croissance démographique en berne, Firminy, n'a, a priori, rien d'une cité où il fait bon flâner. Erreur ! Il faut passer au-dessus de ces tristes chiffres pour mesurer concrètement et à ciel quasi ouvert ce que fut l'œuvre de Le Corbusier, aussi contesté qu'il fut visionnaire. "Corbu", pour les intimes, est appelé en 1954 par le mairie de Firminy, Eugène Claudius-Petit. Ils se connaissent depuis les années 20 quand Claudius-Petit était prof de dessin industriel. Depuis 1953, il est ministre de la Reconstruction et du logement dans l'immédiat après-guerre. Il envisage de réhabiliter le centre de sa ville et construire un nouveau quartier, Firminy-Vert, par opposition à "Firminy la noire", dédiée alors à la mine et à la sidérurgie. À cette époque, Firminy a du mal à faire face à sa population croissante et est, avec Saint-Étienne, une capitale des taudis. Plus d'un logement sur deux ne comprend qu'une seule pièce, sans aucune isolation thermique ou phonique, et les toilettes sont sur le pallier. Bien qu'il faille construire vite et beaucoup, Le Corbusier va appliquer un précepte défini en 1933 par la charte d'architecture dite" d'Athènes" qui s'inspirait déjà de ses réflexions : 12% de surface pour l'habitat et 88% d'espace dédié aux habitants. Plus qu'architecturale, la démarche est bel et bien politique : offrir aux populations modestes des conditions de vie agréable.

Give me five
À Firminy, cette grande idée a donné naissance à cinq sites que l'Association des Sites Le Corbusier tente de faire inscrire au patrimoine mondial de l'UNESCO (voir ci-contre). Mais seules deux entités de ces constructions seront lancées avant que Le Corbusier ne décède : la Maison de la culture et l'unité d'habitation - sur trois étaient initialement prévues - dont il pose la première pierre le 21 mai 1965, trois mois avant de s'éteindre. Le stade (actuellement en rénovation, seule infrastructure de ce type qui soit classée monument historique en France), l'église (achevée en 2006) et la piscine (réalisée entre 1969 et 1971 par André Wogenscky, ancien chef d'atelier du Corbu) complètent cet ensemble. Si tous ces éléments ont leurs atouts et leur originalité, c'est sans doute dans la barre d'immeuble que s'incarne le mieux l'esprit social qui anime alors Le Corbusier avant la multiplication à outrance de ces constructions ne dévoient leur but initial dans les années 60. Véritable jardin à la verticale sur pilotis (pour que subsiste une circulation), cette construction était un lieu de sociabilité avec des couloirs considérés comme des rues intérieures où faire du vélo était autorisé (!) et une école (aujourd'hui en partie occupée par des étudiants de l'université stéphanoise Jean Monnet) sur le toit-terrasse à côté de d'une place de village au 20e et dernier niveau. Ce vaste bâtiment (130m de long, 21 m de large et 56 m de haut) était aussi, avant tout, l'endroit d'une intimité plus épanouie avec des appartements en duplex (offrant une double hauteur sous plafond dans la pièce principale), une ouverture est-ouest pour une luminosité maximale, un balcon, une chambre d'enfants modulable avec portes coulissantes (afin de pas perdre d'espace), une autre pour les parents avec mezzanine donnant sur le salon, et – grande nouveauté alors - une salle de bains avec baignoire… Tout était pensé pour être à la fois optimisé et confortable dans ces 414 appartements HLM conçus pour 1800 habitants. Cette idéal devenu réalité est aujourd'hui inscrit dans un parcours dit des «utopies réalisées» qui comprend, dans le Rhône et la Loire, un autre site signé Le Corbusier, le couvent de la Tourette à Eveux, ainsi que la Cité des Étoiles de Givors, les gratte-ciel de Villeurbanne et le quartier des États-Unis à Lyon. Ici ou là, il serait dommage de se contenter de l'aspect extérieur. Une visite (obligatoirement guidée) des appartements-témoins, s'avère mémorable. Bien sûr, la magie est retombée et le béton de Le Corbusier manque d'éclat mais cette idée d'élever la dignité de l'homme par l'architecture moderne est encore très prégnante.

Site Le Corbusier, Firminy. Ouverture du site tous les jours (sauf mardi) de 10h à 18h.


Anniversaire et UNESCO :
À l'occasion des 50 ans de la mort de Le Corbusier, le site de Firminy-Vert va accroitre le rythme des visites guidées de façon pérenne : l'unité d'habitation (appartement témoin, école maternelle et toit-terrasse) peut se visiter désormais le samedi à 14h30, l'unité d'habitation + l'église les mercredi et samedi à 14h30, l'église et son exposition du moment le dimanche à 10h30 et la maison de la culture et ses coulisses le dimanche à 14h30. Il vous en coûtera de 7€ à 9€. Par ailleurs, une exposition de témoignages d'habitants se tiendra dans l'église de mi-janvier à fin février. Concernant l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, après avoir été refusée en 2009 et 2011, elle sera de nouveau examinée en juin 2016. 


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