Titus, le «Seria» Killer

En 1791, l'opéra «seria» et ses divinités grecques offensées, ses castrats emplumés égrenant des da capo interminables, ne fait plus recette. Art de cour versé dans l'ostentation et l'adulation des divas, comment le dernier opéra de Mozart a-t-il pu, en cette fin de XVIIIe siècle, être composé dans ce style suranné? Alain Koenig


1791: la plume de Mozart crisse incessante. Mû par une extraordinaire ivresse créatrice, il enchaîne les merveilles, et entre à son insu, au Panthéon de l'Humanité. C'est l'année de La Flûte Enchantée, du Concerto pour clarinette, du célébrissime Ave Verum et de son universel testament : le Requiem. Une mythologie sulfureuse autour de sa mort, entretenue par sa veuve, perdure jusqu'à nos jours, relancée par le film Amadeus de Milos Forman. Composé en six semaines, en cette année où rien ne semble pouvoir étancher sa soif compositionnelle, «l'opera seria» La Clémence de Titus laissera perplexes des générations de mozartiens, parmi les plus aguerris. Il faut attendre les années 70 (1970 s'entend !) pour que la corporation musicologique adoube la partition et lui décerne l'Oscar suprême de «chef d'œuvre». Car c'en est un ! Une mise en garde s'impose toutefois, si vous êtes néophyte. On ne saurait trop vous recommander les propos d'avant concert de Florence Badol-Bertrand, éminente spécialiste de Wolfgang... Un opera seria, fût-il un grand cru mozartien, ne se livre pas au premier venu.

Secrets and lies
Ayant confié à Mazzola le soin de dépoussiérer la grandiloquence de l'indétrônable Métastase, Mozart reprend à quelques nuances près dans Titus, l'intrigue de Cinna de Corneille. Le couronnement de Léopold II l'inquiète, et le panégyrique du souverain qu'il doit dépeindre dans cette commande de cour, relève de l'exercice courtisan. Joseph II, décédé en 1790 n'avait-il pas appuyé de sa bienveillance le génie de Wolfgang ? Quid de sa musique avec le nouveau monarque Léopold ? Noblesse d'âme, penchants humanistes, clémence en dépit de la traîtrise érigée en mode de vie, Titus est pour Mozart l'espoir d'un souverain lui renouvelant sa confiance. Denis Podalydès ne semble pas avoir retenu la genèse de l'œuvre dans sa mise en scène, transposant l'intrigue dans notre siècle, et se concentrant sur les aspects psychologiques «modernes» de l'ouvrage. Avant le lever de rideau, il fait jouer la fin de Bérénice de Racine, afin de contextualiser la continuité dramatique. Obérer l'aspect «contraint» d'une commande royale est un parti pris délibéré d'affirmer la prééminence de l'intrigue théâtrale sur le contexte historique de l'ouvrage.

La Clémence de Titus, Opéra-Théâtre, du 25 février au 1er mars

Légende photo : Podalydès s'est concentré sur les aspects psychologiques "modernes" de cet opéra seria


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