Vincent n'a pas d'écailles

Devant et derrière la caméra, Thomas Salvador relève le défi d'inventer un super-héros français sans perdre de vue les rives du cinéma hexagonal, réalistes et intimistes. Et ça marche ! Christophe Chabert


Vincent apparaît au spectateur comme un parfait quidam, sorti de nulle part, débarquant dans les gorges du Verdon après avoir quitté — fui ? — l'urbanité. Est-il venu se ressourcer, dans tous les sens du mot, en piquant une petite tête dans des eaux tranquilles et désertes ? Car ce corps-là n'est, au départ, pas très éloigné de ceux qui hantent le cinéma d'auteur français : discret, transparent, mutique… Cet effacement est renforcé par le fait que c'est le réalisateur lui-même, Thomas Salvador, qui l'incarne : un visage inconnu pour jouer un inconnu, il y a là une logique parfaitement respectée.

Mais Vincent n'a pas d'écailles va chercher à faire de ce corps ordinaire un héros extraordinaire, doté de pouvoirs physiques hors du commun une fois mis au contact d'un élément liquide. Le fleuve, donc, qui lui permet d'effectuer d'impressionnants sauts de dauphin ou de rester longuement en apnée sous l'eau ; mais aussi une simple bassine qu'il se vide sur la tête et qui l'autorise à détruire un mur à mains nues — pratique, car Vincent trouve un job comme ouvrier du bâtiment.

Aquaman made in France

Voilà donc le pari de Salvador : inventer un super-héros français sans jouer la surenchère avec les blockbusters américains. S'il montre, à travers le trajet de son personnage, qu'il a retenu les leçons d'efficacité véhiculées par les scénaristes hollywoodiens — l'histoire d'amour, la défense de l'innocent,   la course-poursuite avec la police… — il ne perd jamais de vue la nécessaire crédibilité de son film et son inscription stricte dans la réalité hexagonale — donc dans un certain réalisme à la française. Sa rencontre avec Lucie — l'étonnante Vimala Pons —, jeune femme aussi libre dans son corps que bien dans sa tête, débouche sur une romance légère que ses super-pouvoirs viennent épicer d'un soupçon d'exotisme — et d'érotisme. Quant à la représentation des forces de l'ordre, elle contourne habilement l'écueil de la mauvaise télévision en les montrant dépassées, bredouillantes et maladroites — sans mépris ni ironie, juste par souci de vraisemblance.

D'où la sensation étrange et plaisante que procure la vision du film : Salvador ne cherche pas tant à bousculer les habitudes de ce type de cinéma qu'à élargir en douceur son horizon, à travers une approche plus ludique que théorique, où les effets spéciaux artisanaux se fonderaient naturellement dans un récit intimiste, où la fantaisie s'intégrerait parfaitement à la petite musique du quotidien amoureux.

Vincent n'a pas d'écailles
De et avec Thomas Salvador (Fr, 1h18) avec Vimala Pons, Youssef Hajdi…


<< article précédent
Max et Lenny