Héla Fattoumi : l'expérience du niqab

Anna Alexandre a l'art de dénicher et de mettre sous le feu des projecteurs des artistes présentant des projets artistiques engagés sur des sujets forts qui interpellent le spectateur, ouvrant le débat. Programmer, au moment où nous vivons une actualité brûlante, un solo en niqab, conçu en 2009, ne peut manquer de soulever des questions. Propos recueillis par Monique Bonnefond.


Vous êtes tunisienne et danseuse. Personne ne porte le niqab dans votre famille. Comment est née l'idée de porter ce vêtement dans un solo de danse ?
J'ai voulu faire cette expérience, voir ce que cet usage qui n'existait pas dans ma vie, générait en moi et à l'extérieur. Quelles images cela faisait naître ? Il y avait également un grand besoin de comprendre ce qui se passe. Cela fait trente ans que tout cela évolue. On voit maintenant des femmes jeunes qui ont envie de porter le niqab et je voulais savoir comment c'est arrivé, comprendre ce qui est en train de se jouer.

Qu'avez-vous ressenti en revêtant pour la première fois le niqab ?
Plusieurs sentiments. D'abord, j'ai éprouvé l'impression d'un très grande élégance et ce vêtement que j'avais choisi couleur peau m'a permis de comprendre cetraines femmes qui me disaient : "je ne peux pas l'enlever. C'est comme si j'enlevais ma peau."
En un deuxième temps, ça a été comme si la notion de temps s'était modifiée, l'impression de changer de temps. Il s'est ralenti. Le niqab impose des contraintes. Il est lourd. Il faut, par exemple, prendre le temps de lever le bras, être dans la maîtrise. Les images qu'on fait naître prennent le temps de sortir et interrogent sur les représentations qu'on se fait, indépendamment du problème religieux.

Justement, nous dommes dans une société de l'image. Pensez-vous que l'art, par la puissance de l'image, soit un moyen plus efficace pour secouer le poids de l'éducation, des traditions, de l'inconscient collectif ?
Oui, c'est une forme d'efficacité. Il y a une prise de contact avec le spectateur qui passe par des canaux différents. C'est la force du spectacle vivant.

Le solo se termine sur votre image de danseuse, dans le niqab, chevelure sensuelle et corps en mouvement. Avez-vous voulu défendre le droit des femmes à libérer leurs corps des carcans et à le laisser vivre pleinement ?
Oui. Tout mon travail interroge sur l'émancipation. Dans le film Manta, je reviens à ce que je suis : une danseuse. Mais l'émancipation de passe pas forcément par le fait d'enlever le voile. C'est parfois un moyen d'aller vers l'émancipation et parfois pas du tout. Il existe des femmes très émancipées qui portent le voile et d'autres qui ne le portent pas et sont prisonnières de carcans qui les empêchent de vivre leur vie. C'est pourquoi on ne pas être dans la généralisation...

Héla Fattoumi présente Manta, cinéma Le Méliès Jean Jaurès, le dimanche 1er mars à 11h.


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Beau dans tous les sens du thème