À trois on y va

Entre vaudeville et étude des indécisions sentimentales, Jérôme Bonnell livre sa vision du triangle amoureux dans un film qui ne manque ni de charme, ni de sincérité, mais de rigueur dans sa mise en scène et son scénario. Christophe Chabert


Charlotte vit avec Micha, mais elle aime en secret Mélodie. Or, Mélodie va tomber amoureuse de Micha, tentant de dissimuler cette aventure à Charlotte. Le triangle amoureux est-il un triangle isocèle ou équilatéral, à partir du moment où se retrouvent abolies les barrières de sexe et de genre ?

La réponse à cette équation est dans le dernier film de Jérôme Bonnell, qui pourtant n'a que faire des mathématiques. Son cinéma reste obstinément dans le viseur d’une tradition bien française héritée de la littérature et du théâtre, avec cette petite musique qui lui sert de style depuis Le Chignon d'Olga jusqu'au Temps de l'aventure.

Il y aura donc des amant(e)s dans le placard — ou sur le rebord de la fenêtre — comme dans tout bon vaudeville qui se respecte ; et si le téléphone portable et les SMS font ici figure de portes qui claquent, cette mise à jour n'occulte pas les ressorts boulevardiers du scénario.

Plus originale est la matière humaine que pétrit Bonnell : celle de ses jeunes acteurs, en particulier Anaïs Demoustier, qui semble elle aussi se construire une œuvre de films en films, son personnage — Mélodie — faisant le trait d'union entre celui qu'elle campait chez Ozon — Une nouvelle amie — et celui qu'elle tiendra dans le prochain Emmanuel Mouret — Caprice.

Pivot du récit, Mélodie est à la fois la plus paumée sentimentalement et la plus ancrée dans le réel. Son job d'avocate n'y est pas pour rien, et c'est une des bonnes surprises du film que de parvenir à une peinture crédible de la justice française et de ses mécanismes.

Vaudeville utopique

Tout charmant et sincère qu'il soit, À trois on y va possède toutefois quelques grosses limites. Si Mélodie et Micha — Félix Moati — ont droit aux attentions du cinéaste, il laisse curieusement dans le flou Charlotte — la Belge Sophie Verbeeck, plutôt convaincante malgré les défauts de sa partition. Ce n'est pas grave tant que le film se contente de décliner les quiproquos liés à sa situation ; ça l'est plus lorsqu'il s'agit d'en dénouer les fils et de plonger dans l'utopie amoureuse, que Bonnell aura tôt fait de ramener au bercail d'une normalité qui pose question.

En laissant à Charlotte le mot (amer) de la fin, il semble nier par une pirouette scénaristique toute la belle liberté morale qui circulait dans son film, au profit d'une fugue aussi rassurante qu'inexplicable. Effet Guillaume Gallienne ou simple maladresse d'une œuvre qui manque souvent de rigueur ? Comme Bonnell, laissons quelques points de suspension en guise de conclusion…

Á trois on y va
De Jérôme Bonnell (Fr, 1h27) avec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck…


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