«Laisser l'essence de la partition s'exprimer»

Après avoir dirigé «La Clémence de Titus» en février dernier, David Reiland, premier chef invité à l´Opéra-Théâtre de Saint-Étienne, va diriger une nouvelle fois une œuvre du grand Mozart, «La Flûte Enchantée», à la fin du mois. Rencontre avec ce jeune chef d'orchestre qui partage sa vie entre la Loire, la Belgique, le Luxembourg et bientôt l'Allemagne. Propos recueillis par Alain Koenig.


Vous semblez avoir pour la musique de Mozart des prédispositions naturelles, La Clémence, Mithridate à Paris, et maintenant La Flûte Enchantée. Quelle conception avez-vous de la musique de Mozart ?
Mozart m'accompagne effectivement depuis mes débuts à l'opéra. C'était en Autriche, il y a un peu moins de 10 ans déjà. L'univers d'un compositeur est pleinement comparable à une langue vivante. Il recèle sa propre syntaxe, ses accents toniques, sa prononciation, ses conventions rhétoriques et il reflète également un art de vivre, une philosophie, une profondeur d'âme...Et, je l'avoue, c'est un bonheur exquis pour moi de parler "Mozart". Pendant mes études au Mozarteum de Salzbourg, j' ai fait la rencontre de Nikolaus Harnoncourt qui m' a considérablement encouragé à développer ma propre conception- intuitive et fidèle- de l'œuvre de Mozart, tout en tenant compte des connaissances musicologiques et historiques dont nous disposons. Mozart se caractérise, à mon sens, par la théâtralité et la vocalité de ses lignes contrapuntiques et par son incroyable sens de la narration et de l'articulation.

Comment abordez-vous La Flûte Enchantée en particulier ?
Je crois qu'il est bon de laisser l'essence de la partition s'exprimer d'elle-même. La Flûte Enchantée peut être lue, à l'instar de tout chef-d'œuvre, à différents degrés. Je m'efforce d'en donner une lecture transparente, se jouant parfois de la pesanteur, tout en préservant des contours, des changements de couleurs et des affects très définis. D' un autre côté, la Flûte est considérée comme le véritable testament philosophique du compositeur. Au delà du rituel initiatique maçonnique qui se déroule sous nos yeux, Mozart nous y confie toute la foi qu'il place en l'humanité. Si le livret de Schikaneder nous conte la lutte entre passions humaines et vertu, la musique de Mozart se fait, elle, littéralement, métaphysique.

Éric Vigié, le metteur en scène de cette production, nous déclare que la musique, le texte et les voix priment sur la mise en scène. Êtes-vous en phase avec cette conception? Et quel est pour vous le rôle du chef dans un opéra en général ?
Rares sont les chefs, amoureux des voix et de la partition, qui contrarieront les sages propos d'Éric Vigié. La rencontre avec le metteur en scène est assurément un moment-clé dans le processus de (re)création. Pour ma part, j'attends toujours cet échange avec beaucoup d'impatience. Le metteur en scène, par ses connaissances complémentaires et son expérience, apporte au chef et au chanteurs ce contrepoint indispensable qui va donner chair et vie à la psychologie des personnages. Quant au chef, il veille, par exemple, à ce que la mise en scène n'entre pas en conflit avec les lois physiques de l'acoustique du plateau.

Comment se passe votre travail avec les musiciens de l'orchestre de Saint-Étienne ? Et l'accueil du public ?
En répétition, sur scène, comme dans la fosse, j'éprouve beaucoup de bonheur, de bien-être et d'intenses émotions en travaillant aux côtés des musiciens de l'OSSEL. La réactivité, la flexibilité et l'ouverture d'esprit dont ils font preuve sont les plus belles marques de confiance des musiciens à l'égard d'un chef invité. J'ai découvert un orchestre passionné par le sens du détail et nous partageons les mêmes ambitions et la même exigence de la première à la dernière mesure. Je remercie le nombreux public stéphanois qui, à chaque fois, salue la prestation de l'orchestre avec tant de générosité et d'enthousiasme. Entendre l'intensité des applaudissements et partager quelques mots avec le public à l'issu d'un concert est pour nous, musiciens, la plus belle reconnaissance de notre métier d'artisan.

Votre carrière de chef d'orchestre semble déborder largement du cadre du Luxembourg et de Saint-Étienne. Où en êtes-vous? Quels sont vos projets pour l'avenir ?
Après trois saisons passées à la tête de l'Orchestre de Chambre du Luxembourg, j'éprouve toujours une grande joie et une certaine fierté à retrouver cette phalange qui ne cesse de grandir, concert après concert. Tout comme à l'opéra de Saint-Étienne, je me réjouis, prochainement, de faire mes débuts à Berlin et Munich puis à la tête de l'orchestre de l'Opéra National de Lorraine, de l'Orchestre Symphonique de Bâle, ...mais aussi de poursuivre des collaborations qui me sont chères, comme, par exemple, l'Orchestre National de Belgique, l'Orchestre National de Lorraine ou l'Orchestre Philharmonique de Luxembourg. 

La Flûte Enchantée de Mozart, avec l'OSSEL dir. David Reiland, du 24 au 28 avril, Opéra-Théâtre de Saint-Étienne


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