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Le trompettiste prodige Ambrose Akinmusire se produira pour la première fois à Saint-Étienne : une occasion rare de découvrir en live un artiste aussi sensible et engagé qu'étonnamment inventif. Niko Rodamel


Annoncé comme le nouveau messie du jazz, croulant sous les éloges et les distinctions prestigieuses, signant chez Blue Note dès le second enregistrement personnel, on attendait forcément Ambrose Akinmusire au tournant avec son troisième LP. Sans surprise, l'album confirme que derrière ce jeune prodige afro-américain se cachait bien l'un des trompettistes les plus enthousiasmants de ces dernières années.

Ambrose a commencé très tôt à jouer de la trompette. «Je jouais du piano depuis l'âge de 4 ans, lorsque j'ai commencé à apprendre la batterie ma mère n'a pas du tout apprécié et j'ai dû changer d'instrument. A six ans j'ai donc choisi la trompette parce qu'il y avait trois boutons et que je pensais que ça serait simple !» Le musicien a grandi au nord d'Oakland dans une communauté où beaucoup de ses amis ont été confrontés à la violence, aux gangs, au trafic de drogue. «Je ne pense pas que ma famille m'aurait laissé suivre cette voie mais de toutes façons je ne voulais que rester à la maison et pratiquer mon instrument, apprendre la musique.»

«Je n'ai donc pas eu de temps pour faire les bêtises que les adolescents font habituellement dans la rue. J'ai beaucoup de chance d'avoir trouvé la musique, en quelque sorte elle m'a sauvé.»

Seul musicien de sa famille, le trompettiste a d'ailleurs découvert le jazz tout seul et avoue avoir beaucoup appris en écoutant des vinyles achetés au marché aux puces. «Comme pour l'apprentissage d'une langue, vous pouvez l'apprendre dans un livre mais si vous voulez en saisir les nuances, l'esprit, l'histoire et l'accent, vous devez vous plonger dedans. J'adore les disques, je suis devenu un grand collectionneur.»

Ambrose Akinmusire a poursuivi ensuite un parcours exemplaire, depuis la Berkeley High School jusqu'au Monk Institute of Jazz, signant trois albums sous son propre nom et de nombreuses collaborations en tant que sideman. Auréolé de l'ultra select Thelonious Monk International Jazz Competition en 2007, Ambrose cite volontiers Miles Davis et John Coltrane mais aussi ses premiers accoucheurs : Steve Coleman, Herbie Hancock et Wayne Shorter. Pour autant, l'artiste écoute aussi bien de la folk (Joanna Newson, Joni Mitchell) que de l'électronique (Björk, Anja Garbarek, Flying Lotus). «Je ne suis pas de ceux qui passent leur temps à écouter les musiciens qui jouent du même instrument qu'eux.» Le jazz-mentor d'Ambrose reste pour autant Terence Blanchard qui fut l'un de ses professeurs, lui-même passé par l'orchestre de Lionel Hampton et les Jazz Messengers d'Art Blakey, compositeur pour les films de Spike Lee.

Inspiration

The Imagined Savior is The Easier to Paint s'est vu décerner le Grand Prix de l'Académie du Jazz, jugé ainsi meilleur disque de l'année 2014. Dans ce dernier opus, l'univers d'Ambrose demeure d'une profondeur émouvante, loin de toute excentricité et véritablement investi. Sa musique, intimiste et puissante à la fois, s'appuie sur des fresques mélodiques aux harmonies subtilement ciselées. Le trompettiste poursuit sa recherche de sons nouveaux et d'atmosphères singulières traduisant un langage personnel en perpétuelle reconstruction. On retrouve sur cet album les écarts de notes acrobatiques et le mode indéniablement lyrique présents sur le précédent album. Preuve d'une certaine maturité, Ambrose a su mettre au service d'une étonnante inventivité la virtuosité dans laquelle il aurait pu s'enfermer. Le groupe bénéficie de la contribution du guitariste Charles Altura et du OSSO String Quartet. Par ailleurs, Akinmusire confirme sa passion pour la voix, trois chanteurs (Becca Stevens, Theo Bleckmann et Cold Specks) ayant participé à l'enregistrement. «Je suis vraiment très inspiré par les voix et en particulier par les voix féminines. Elles correspondent bien au registre de la trompette, celui que j'utilise en tout cas.»

«Une certaine qualité de timbre que les voix féminines possèdent me correspond.»

«Des chanteuses comme Nina Simone, Sarah Vaughan, Becca Stevens ont ce style de voix qui m'inspire plus que tout autre instrument. Curieusement, lorsque que lorsque je joue, j'essaie de m'approcher le plus possible du son boisé du violoncelle, surtout dans les ballades, car le violoncelle va droit au cœur.» Ambrose signe douze des treize morceaux et a produit lui-même son disque. «Je crois qu'il est plus naturel de produire moi-même mon album. J'ai eu des expériences enrichissantes avec des producteurs mais c'est comme si quelqu'un vous aidait à écrire votre journal intime.»

Engagement

Les textes évoquent pour beaucoup les maux de la société américaine et notamment la question du racisme. «Aux Etats-Unis, il existe une peur sous-jacente du jeune homme noir qui pousse beaucoup de monde à commettre les pires actes. La situation est très compliquée. Parfois les gens ne sont pas racistes, ils sont juste effrayés et ignorants. L'élection d'un Président noir ne signifie pas qu'on en a fini avec le racisme. En concert je suis un trompettiste de Blue Note mais dans la rue je suis potentiellement le Noir de service.  C'est important pour moi d'utiliser la tribune dont je dispose pour forcer le dialogue, pour parler de tout cela et peut-être éduquer les gens. Je pourrais très bien rester à la maison et jouer pour moi mais c'est une grande tâche à tenir pour un artiste que de libérer les gens, leur montrent la voie, les pousser à remettre en question leurs croyances.»

Preuve d'une certaine ouverture d'esprit, le musicien expérimente plusieurs processus créatifs afin de ne s'interdire aucune sorte d'approche dans sa manière de composer. «Ce que je pratique beaucoup est d'écrire d'abord une histoire avant de composer la première note. Parfois l'histoire tient en un paragraphe, parfois en cinq ou six pages. L'étape suivante est de trouver comment représenter musicalement cette histoire, écrire la mélodie et les harmonies. En fait, je tente de développer l'histoire d'un point de vue émotionnel plus qu'en termes de changements d'accords.»

Ambrose Akinmusire Quartet, dimanche 26 avril 2015, Le Fil à Saint-Étienne (coproduction Gaga Jazz)


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