J'ai testé pour vous…l'essence du goût !


Pendant près de six mois, des étudiants de l'ESADSE et des étudiants de l'Institut Paul Bocuse ont travaillé ensemble sur la scénographie du restaurant éphémère de la Biennale. L'essence du goût est une performance gastronomique pour douze invités (en deux services) et quatorze serveurs, une chorégraphie culinaire mettant en éveil presque tous les sens des convives. Expérience sensible d'un service sans repas pour laquelle je me retrouve sur la guest-list. Les invités sont introduits dans une pièce les yeux bandés, on leur chuchote des bribes de phrases à l'oreille tandis qu'ils sont guidés par un bras invisible dans un espace incertain, déambulant parmi bruits et odeurs de cuisine. Perte des repères, l'espace devient élastique, confiance aveugle en cet hôte qui me promène à sa guise. On nous retire enfin le bandeau. Je découvre une immense table en U couverte de nappes blanches, à laquelle on m'assoit sans un mot. Des micro-performances s'enchaînent alors sous la direction autoritaire d'un maître d'hôtel impassible. Échanges de regards interrogatifs avec les cinq autres convives. Nous nous retrouvons au cœur d'un étrange balai où les serveurs se font danseurs, où tout est fait pour nous conditionner dans l'attente d'une dégustation qui, comble de la frustration, n'arrivera jamais ! Il règne une étrange atmosphère à la Stanley Kubrick.

Invité impatient et cobaye volontaire, je me sens subitement otage malgré moi. L'effervescence qui gravite autour de moi me cloue à ma chaise. La horde de serveurs, chemise blanche impeccable et loup noir sur le visage, exécute sans frémir les ordres laconiques du maître de cérémonie, lequel frappe dans ses mains pour rythmer la cérémonie. La gestuelle du sommelier suspend le temps quelques instants avant que ne reprenne la danse des derviches-serveurs qui déposent puis reprennent, au final jouent avec l'assiette, le verre à pied et les couverts. On tapisse les nappes de coulis telle une peinture sucrée et odorante, on dispose çà et là mais avec précision de minuscules bouquets de salade, on arrose d'eau chaude des pains de glace dans une épaisse fumée blanche qui libère des parfums volatiles d'épices mélangées. Le regard des serveurs est glacial, leur visage sans expression, les étudiants jouent leur rôle avec le sérieux de vrais acteurs de théâtre, chapeau !

Je ressors de cette expérience singulière et unique avec deux envies pressantes : celle de raconter ce que je viens de vivre et surtout celle de passer à table pour de vrai ! Niko Rodamel


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Les amours perdues