Yves Boisset : "Le cinéma français actuel est frileux"

Voilà l'un des seuls réalisateurs à avoir osé aborder de front des sujets polémiques, là où le cinéma français s'est enlisé dans une léthargie. Le sulfureux Yves Boisset est un homme de caractère comme le démontre sa détermination à travailler pour dénoncer et mettre le doigt là où ça fait mal. Dans sa filmographie comptant nombre de pièces maîtresses, un de ses films les plus marquants, Le Juge Fayard dit le Shériff, autour de l'assassinat du juge lyonnais François Renaud, a été tourné à Saint-Étienne en 1977. Un film coup de poing que l'on peut retrouver pour la première fois en DVD. Retour avec Yves Boisset sur son aventure stéphanoise et sa vision du cinéma actuel. Propos recueillis par Nicolas Bros.


Pourquoi avez-vous tourné Le Juge Fayard à Saint-Étienne ?
Nous avons été empêchés de tourner à Lyon par la Préfecture de police. Il a fallu trouver une solution et un de mes amis, le journaliste Bernard Frangin, m'a proposé Saint-Étienne. Nous avons été accueillis les bras ouverts à Saint-Étienne, notamment par les flics stéphanois qui détestaient leurs homologues lyonnais... Nous avons pu effectuer notre tournage en toute liberté.

Mais votre film a tout de même subi la censure ?
Oui, le film a provoqué des réactions diverses, parfois violentes. Nous avons par exemple été obligés de poinçonner la bande sonore et de rayer la copie pour que les évocations du «SAC» (ndlr : Service d'action civique) pour que ce terme soit remplacé par des bip. Mais les spectateurs hurlaient « SAC assassins » dans les salles au moment où il y avait ce bip. En matière de censure, je pense que j'ai battu le record de France.

Dans votre filmographie, que représente Le Juge Fayard ?
C'est un film qui m'est assez cher pour beaucoup de raisons. Outre le fait que ça a été un gros succès à tous égards et qu'il a remporté le prix Louis Delluc, il continue à faire du bruit. Pour preuve, la profanation il y a six mois de la tombe du juge Renaud au cimetière du Père Lachaise...

Vous êtes revenu à Saint-Étienne fin 2014 pour présenter le Shériff. Que pensez-vous de la ville ?
J'ai bien entendu été frappé par les changements qu'elle a connus. Lors du tournage du Shériff, il y avait encore des puits de mines en fonctionnement, la manufacture d'armes, … Ce film est, quelque part, un documentaire sur ce que pouvait être Saint-Étienne à cette époque de la fin des années 70.

Pourquoi avoir fait le choix de Dewaere et Léotard pour les acteurs principaux ?
Je connaissais déjà un peu Philippe Léotard mais pas Patrick. Je trouvais que c'était un acteur formidable. Il avait à la fois le côté bravache du juge Renaud, le Shériff comme l'appelaient les truands lyonnais, et une sorte d'intégrité qui me semblait intéressante pour le personnage.

Quelle est votre vision du cinéma français actuel ?
Le cinéma français actuel est plus que jamais frileux. Je vous mets au défi de trouver, dans les vingt dernières années, un film vraiment insolent, critique par rapport aux institutions. Je crois qu'il n'y en a pas.

Pour quelle raison ?
Aujourd'hui, ce ne sont plus les producteurs qui financent les films. Ils produisent un film lorsqu'ils ont trouvé le financement auprès de télévisions et autres organismes. Donc dès que l'on veut aborder un sujet gênant, on éprouve le plus grand mal pour trouver l'argent afin de réaliser le film. Et cela ne risque pas de changer malheureusement.

Pourquoi la sortie du DVD du Juge Fayard a été aussi longue à arriver ?
Il y a eu des histoires de procès avec le SAC, même s'il a été dissout en 82. D'autre part, il y avait une histoire de droits assez complexe car le producteur avait fait faillite. Cela dit, Le Juge Fayard n'est pas un exemple isolé car Z ou L'Aveu de Costa Gavras n'existent pas en DVD...


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