Journal d'une femme de chambre

Même si elle traduit un certain regain de forme de la part de Benoît Jacquot, cette nouvelle version du roman d'Octave Mirbeau a du mal à tenir ses promesses initiales, à l'inverse d'une Léa Seydoux épatante de bout en bout. Christophe Chabert


Après Jean Renoir et Luis Buñuel, Benoît Jacquot tente donc une nouvelle adaptation du livre d'Octave Mirbeau avec Léa Seydoux dans le rôle de Célestine, bonne à tout faire envoyée de Paris vers la Province pour servir les bourgeois Lanlaire. Co-écrit avec la jeune Hélène Zimmer — réalisatrice d'un premier long, À 14 ans, sorti le mois dernier en salles — ce Journal d'une femme de chambre a l'ambition de revenir au roman initial en en sélectionnant les épisodes plutôt qu'en l'actualisant.

Pendant trente minutes, le film s'inscrit dans la droite ligne des Adieux à la Reine : la caméra et les comédiens prennent de vitesse la reconstitution historique, tandis que Jacquot, au diapason de son héroïne, pointe avec sarcasme les rapports de pouvoir et ce qui va avec — abus de pouvoir et droit de cuissage.

C'est ce qui séduit le plus dans cette ouverture, sans doute ce que Jacquot a filmé de plus brillant depuis des lustres : comment, en replongeant dans la France du début du XXe siècle, il offre un commentaire très pertinent sur la nôtre. Les échos sont nombreux, de la résurgence d'une lutte des classes à l'antisémitisme qui se développe dans les couches populaires, des fous de guerre à l'esprit resté sur les champs de bataille — composition hilarante de l'excellent Patrick D'Assumçao — aux perversions masquées des bourgeois honteux.

Léa Seydoux : bonne à tout faire

Ce bel élan est brutalement stoppé lors d'un flashback raté où Vincent Lacoste fait figure de miscasting en jeune homme tuberculeux. Revenu au présent — ou presque, car Jacquot continuera à faire quelques allers-retours dans le passé de Célestine — il ne retrouvera jamais son inspiration de départ. Au contraire, en faisant sortir de son silence bougon et de son poste d'observateur le personnage de Vincent Lindon pour porter la charge non plus sur les bourgeois mais sur les domestiques, il semble affadir son propos dans un "tout est dans tout" bien peu courageux.

Quant à la mise en scène, elle aussi tombe en panne sèche : l'énergie initiale se commue en téléfilm vieillot où seule Léa Seydoux, formidable d'un bout à l'autre, désormais rodée à contourner les écueils du film d'époque par son mélange de naturel et de technique invisible, apporte une touche nécessaire et salutaire de modernité.

Journal d'une femme de chambre
De Benoît Jacquot (Fr, 1h35) avec Léa Seydoux, Vincent Lindon…


<< article précédent
Yves Boisset : "Le cinéma français actuel est frileux"