Lost River

Après un petit tour en salle de montage, le premier long de Ryan Gosling arrive sur les écrans dans une version sensiblement plus digeste que celle vue à Cannes. Et s'avère un objet singulier, dont la poésie noire se distille au gré de ses fulgurances visuelles. Christophe Chabert


À Cannes, ce premier long métrage de Ryan Gosling nous était tombé des yeux. Le hiatus entre une narration bordélique et l'envie flagrante de copier ses modèles tel un étudiant d'art passant sa journée au Louvre,  donnaient à Lost River une dimension à la fois prétentieuse et vaine. À peine pouvait-on décerner à son chef opérateur, le brillant Benoît Debie, un satisfecit pour avoir créé une matière visuelle parfois fulgurante.

Probablement refroidi par l'accueil glacial réservé au film, Gosling est donc retourné en salle de montage pour mettre un peu d'ordre dans ce foutoir et enlever dix-sept minutes qui ne manquent pas, loin de là, à la version définitive. On cerne donc enfin son propos qui, à défaut d'être particulièrement novateur, a maintenant le mérite de la clarté : un adolescent, Bones — référence sans doute au bouquin de Russell Banks — traîne dans les ruines industrielles de Detroit à la recherche de tuyaux en cuivre qu'il revend pour se faire un peu d'argent de poche.

Sa mère — la rousse Christina Hendricks, échappée de Mad Men — se voit proposer par un patron de club lubrique de devenir danseuse dans un cabaret macabre et gore — l'occasion pour Gosling de placer sa girlfriend Eva Mendes dans un étonnant numéro de Grand-Guignol. Pendant ce temps, leur jeune voisine (Saoirse Ronan) tombe sous le charme de Bones, et un skinhead tyrannique jure de leur faire la peau pour avoir empiété sur son territoire. Il y a aussi un chauffeur de taxi philosophe (Reda Kateb) et une ville engloutie dont n'émergent que des lampadaires éteints.

La cité des enfants perdus

L'ambition de Lost River, manifeste, consiste à capturer les peurs et les rêves de l'enfance : les monstres imaginaires tapis dans l'obscurité et ceux, bien réels, qui hantent les rues pour vous martyriser,  mais aussi les légendes urbaines que les mamans racontent à leur bambin et qui, l'adolescence arrivant, deviennent des eldorados à sauver…

Le projet cinématographique, lui, reste maniériste à souhait : des ambiances lynchiennes, des vrilles de caméra comme chez Gaspar Noé, des touches de bis italien façon Argento ou Mario Bava et, bien sûr, la figure tutélaire de Nicolas Winding Refn comme styliste ultime. Gosling parvient, nonobstant la nonchalance de son récit, à faire de ce patchwork un objet singulier et personnel, baigné dans une poésie noire et un climat à la frontière du fantastique. Lost River n’est pas un grand film, mais c'est, hic et nunc, l'œuvre atypique d'un acteur qui l'est tout autant.

Lost River
De Ryan Gosling (ÉU, 1h35) avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Iain De Caestecker…


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