L'homme, ce rêveur définitif

Après le Futurisme, le Dadaïsme, le Constructivisme, l'historienne d'art Ulrike Kasper poursuit son exploration du 20e Siècle artistique sur la piste du rêve et de l'inconscient, à travers Sigmund Freud, André Breton et le Surréalisme. Une conférence qui s'annonce passionnante et dont nous déployons ici quelques enjeux. Jean-Emmanuel Denave


«L'homme, ce rêveur définitif», comme le qualifie André Breton au début du premier Manifeste du Surréalisme en 1924, doit, afin de se libérer, se défaire se la logique, du plat réalisme de la vie quotidienne, des lois asphyxiantes de la rationalité... Pour cela, André Breton voit en Freud et la psychanalyse un appui et une ouverture formidables : «L'imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits. Si les profondeurs de notre esprit recèlent d'étranges forces capables d'augmenter celles de la surface, ou de lutter victorieusement contre elles, il y a tout intérêt à les capter...». La libido et ses puissances méconnues, l'inconscient et son fourmillement de pulsions et de désirs insoupçonnés, le rêve, cette «voie royale» pour parvenir à l'inconscient selon Freud, semblent à Breton et à ses comparses autant de possibilités pour renverser et étendre notre point de vue sur la psyché humaine, autant de possibilités de créativité et d'images nouvelles. Les surréalistes multiplient dès lors les récits de rêves, lancent des questionnaires sur l'amour ou la sexualité, usent de l'automatisme comme Freud de l'association libre des pensées, se passionnent pour les hystériques de Charcot...

Des fous intégraux

«Face à l'importance accordée au visuel, au traitement plastique du mot dans le rêve, à l'importance de ce dernier comme «voie royale»...on comprend que les surréalistes aient vu en Freud le héros de l'exploration d'un monde nouveau et un libérateur de l'aventure du désir. Mais bien que les surréalistes aient largement contribué à introduire l'œuvre de Freud en France, les rapports entre Freud et Breton furent marqués constamment de malentendus qui révélaient l'importance du différend» précise la psychanalyste Françoise Coblence. Un différend théorique (Breton croit en la puissance des images, Freud s'en méfie et préfère la représentation par les mots et le langage), mais aussi un différend esthétique, les goûts de Freud s'étant toujours tenus éloignés de l'art de son temps, qu'il s'agisse de l'Expressionnisme ou, ensuite, du Surréalisme. Il est amusant à ce propos de lire la lettre de Freud à Stefan Zweig qui avait insisté pour qu'il rencontre Salvador Dali en 1938 : «Jusqu'alors, j'étais tenté de tenir les surréalistes, qui apparemment m'ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux (disons à 95% comme pour l'alcool absolu). Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son indéniable maîtrise technique, m'a incité à reconsidérer mon opinion». Malentendus, enthousiasmes, entrecroisements théoriques, inspirations esthétiques : Ulrike Kasper nous fera redécouvrir avec plus de précisions encore l'importance de Freud, du rêve et de l'inconscient pour ces jeunes fanatiques géniaux qui bouleverseront le début du 20e Siècle.

«Surréalisme : le rêve et l'inconscient», conférence de Ulrike Kasper, lundi 1er juin à 19h au Musée d'art moderne et contemporain.

A voir à Lyon : l'exposition «Surréalistes, certes» jusqu'au 20 juin à la galerie Michel Descours


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