Nicolas Brun : « Avoir une sensibilité artistique est essentiel dans ce métier»

Derrière les expositions du Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne (MAMC), toute une équipe s'affaire afin d'installer et entretenir chaque œuvre présentée au public. Rencontre avec Nicolas Brun, régisseur technique du musée. Propos recueillis par Marlène Thomas


Quel parcours professionnel avez-vous suivi ?
Nicolas Brun :
Je suis venu pour la première fois au Musée d'art moderne et contemporain pour mon stage de fin d'études, puisque j'ai passé un master professionnel dans les métiers du patrimoine à Saint-Étienne et un master de recherche en science de l'art à Metz. Depuis 2008-2009, je travaille sur les montages d'expositions. Ma titularisation est intervenue en 2011. Au sein de mon mon service, nous sommes trois techniciens et deux supérieurs hiérarchiques. Il y a aussi un pôle "courant fort, courant faible" comprenant un électricien et un éclairagiste qui s'occupent aussi du bon déroulement des conférences. J'ai toujours été passionné par l'art, j'ai écrit sur l'art et je suis aussi artiste plasticien parallèlement à mes activités professionnelles. Initialement, je voulais continuer la recherche mais sans être enseignant, donc je me suis tourné vers les métiers de la conservation. J'ai fait mon stage ici avec le conservateur de l'époque, mais je me suis vite rendu compte que j'avais besoin de plus d'action. Quatre mois après le début de mon stage, une grande exposition réunissant de nombreux artistes internationaux s'installait, il y avait une émulation incroyable autour du montage. Je suis allé voir ma responsable de stage et je lui ai dit : « Il faut que j'aille mettre des clous dans un mur ! ». (rires) La régie technique était un moyen d'avoir une réflexion sur les oeuvres tout en étant dans l'action. Avoir une sensibilité artistique et comprendre l'enjeu de l'oeuvre est essentiel pour l'installer au mieux.

Quel est le rôle du régisseur technique ? 
Le régisseur technique doit, tout d'abord, dénicher les informations des futures expositions, auprès des artistes, des assistants, de leur galerie. Une fois que nous avons ces informations, nous listons les problèmes techniques à venir et les éventuelles fournitures à acheter. Pour l'exposition de la Fondation Volume !, Passages, vingt-cinq tonnes de fournitures ont dû être trouvées. Dans l'exposition de Giovanni Anselmo, des pierres de deux cent vingt kilos sont accrochées par deux au mur, il y en a onze, il y a donc plus de deux tonnes sur nos murs en placoplatre. L'équipe technique a donc dû créer une structure métallique à l'intérieur du mur avec des soudures, des élingues permettant de soutenir ce poids, tout en donnant l'impression que tout est tranquillement accroché sur le mur. Si c'est une exposition de tableaux, l'installation sera nettement plus simple. Nous devons aussi prévoir combien de temps et de personnel l'exposition nécessitera et quel sera le rôle de chacun. Il m'arrive aussi de faire des simulations 3D des expositions, dans le cas d'expositions techniquement difficiles. Nous devons aussi prêter attention à la fragilité des pièces installées, ce sont des oeuvres d'art et non pas de simples pierres. L'oeuvre doit repartir en parfait état. Il faut veiller à la bonne conservation des oeuvres, à leur sécurité et à celle des personnes qui travaillent. L'anticipation des besoins et la réactivité sont essentielles. Dans l'exposition Passages, une maison emplie de fumée était placée juste devant un détecteur, il a donc fallu trouver des lanières en caoutchouc qui permettent de voir mais de fermer, tout en laissant passer les gens à l'intérieur et tout cela dans la seconde. Nous devons être réactifs face aux imprévus et en même temps gérer le montage des autres expositions. Mais tout prévoir n'est malheureusement pas possible.

« À 76 ans, le sculpteur Richard Nonas [...] venait avec nous pour installer les parpaings de pierre. [...] Dans le cadre de la création artistique, il n'y a pas d'âge, pas de manque de force.»

Comment se passe une installation d'oeuvres, recevez-vous des schémas pour savoir où disposer les pièces ?
Nous recevons des photos et en fonction de la difficulté technique de l'installation, il peut y avoir des plans effectués par l'artiste ou son assistant. Pour les pierres dont je parlais précédemment, nous avons reçu un calque de l'artiste avec les points d'accroche et la taille du mur pour savoir où les positionner, après c'est à nous de savoir comment. Nous passons ensuite dans une phase d'entretien de l'exposition et de préparation des suivantes. Chaque jour nous devons vérifier que personne n'a touché le tas de sable de l'oeuvre d'Anselmo, contrôler chaque petite maison de l'exposition Passages, voir s'il n'y a pas de peinture à reprendre. Le dépoussiérage est également important, nous utilisons des aspirateurs avec des filtres particuliers et des chiffons antistatiques. De nombreux matériaux existent, nous devons en avoir la connaissance avant de toucher une oeuvre. Nous-mêmes, nous devons avoir l'autorisation du conservateur pour intervenir. Une oeuvre trop spécifique ou délicate à entretenir sera directement prise en charge par le restaurateur. Pour la désinstallation, comme à l'arrivée, des constats d'états sont réalisés. Il y a ensuite l'emballage, le déballage, c'est un vrai métier. Un emballage d'oeuvre d'art est très particulier, il y a des matériaux spécifiques selon la matière de l'oeuvre, une photo n'utilisera pas le même matériau d'emballage qu'une peinture. De plus, si la peinture possède une vitre, cela nécessitera un scotch spécial vitre, pour éviter que le verre ne tombe sur l'oeuvre en cas d'accident. 

Avez-vous des contacts avec les artistes ?
Nous travaillons avec eux. Certains artistes ont plusieurs expositions en cours, dans ce cas ils envoient leurs assistants gérer tout à leur place. Dans certains cas, une scénographie est réalisée par un commissaire. Giovanni Anselmo, une figure historique du monde artistique, était présent avec son assistant. Il fut parfaitement adorable. Ces rencontres sont très enrichissantes. Nous apprenons beaucoup, même si au premier abord cela peut paraître hermétique. Je pense qu'au fil des années, une méfiance s'est installée vis-à-vis de l'art conceptuel, qui parfois est jugé comme tel à tort. L'apprentissage n'est pas forcément de se cultiver plus ou d'en savoir plus sur le propos de l'artiste, parfois l'apprentissage consiste seulement à acquérir soi-même plus de sensibilité. Quand je regarde les pièces sculpturales d'Anselmo, je suis dans le ressenti, cela passe par les sens, par une habitation de l'espace, par de la poésie. Il a d'ailleurs écrit un texte assez court placé en début d'exposition, cette petite prose est comme le défilé de chaque oeuvre. La rencontre avec Richard Nonas, un sculpteur américain m'a également beaucoup marqué. Il avait une immense bonté et apportait beaucoup aux personnes qui travaillaient avec lui. À l'époque il avait déjà 76 ans, il venait avec nous pour installer les parpaings de pierre, il fendait les cales de bois, c'était hallucinant. Puis, dès que l'installation prenait fin, la vieillesse se faisait ressentir. Dans le cadre de la création artistique, il n'y a pas d'âge, pas de manque de force. 


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