Passion protéiforme

Après vingt ans de créations, Florence Girardon se lance un incroyable défi en portant à la scène une œuvre peu adaptée dans le domaine de la danse : la "Passion selon Saint-Matthieu" de J.S.Bach, œuvre imposante autour de laquelle elle réunit neuf artistes venus d'horizons divers. Monique Bonnefond


Les artistes connaissent bien ce processus de création qui fait qu'un beau jour, sans qu'on sache trop pourquoi, émerge une chose qu'on portait en soi depuis longtemps. La Passion selon Saint-Matthieu de Bach « fait partie de ma vie » dit Florence Girardon. « C'est une œuvre monumentale qui provoque toujours beaucoup d'émotions chez moi, une œuvre qui permet aussi beaucoup d'entrées possibles, beaucoup de variations. » C'est ce qui a amené cette chorégraphe au parcours très éclectique à proposer à neuf artistes : cinq chorégraphes, deux metteurs en scène et un cinéaste (Ulises Alvarez, Cécile Laloy, David Mambouch, Maguy Marin, Éric Pellet, Pierre Pontvianne, Ennio Sammarco, Philippe Vincent), tous porteurs d'une écriture singulière, de se lancer avec elle dans cette aventure audacieuse : créer chacun une forme à partir de l'œuvre monumentale de Bach qui devient un espace de réflexion, d'inspiration, avec beaucoup de questions qui ouvrent le regard, ouvrent des portes. Chacun est invité à fabriquer sa propre forme à partir de parties musicales librement choisies et à donner sa propre interprétation de sa Passion. Dans cette création protéiforme où coexistent le singulier et le pluriel comme le suggère la parenthèse qui entoure le s de Passion(s), tout est partagé sans que personne ne perde son identité. Bien sûr, cette somme de pièces uniques, par son hétérogénéité expose au risque de fragmentation. Comment "faire tenir ensemble" ces œuvres singulières ?

Quand l'humanité est au service de la Passion

Florence Girardon définit son langage chorégraphique comme « le désir de voir dans la danse l'humanité des danseurs, et surtout pas des "héros" ou des "exécutants". » C'est bien ce rapport de dialogue, de partage, d'amitié qui constitue la trame de l'œuvre, cimente ces Passion(s) individuelles. Si chacun de ces artistes réunis par affinités électives met à l'œuvre sa propre interprétation, il se met au service de l'écriture des autres, circulant dans leurs pièces, devenant ou redevenant des interprètes (un chorégraphe, par exemple devient danseur pour un autre chorégraphe). L'enveloppe individuelle devient poreuse et permet des échanges aboutissant à des créations inédites, fruits d'une invention permanente, toujours en devenir. Passion(s), projet monumental à partir d'une œuvre qui l'est tout autant, fait circuler le meilleur de l'humanité et nous parle de ne jamais renoncer à nos rêves. « Et garde tes rêves, (...). Tu ne peux jamais savoir à quel moment tu en auras besoin » écrit si bien un autre très grand : Carlos Ruiz Zafon.

Passion(s), samedi 28 novembre à 20h30, au Théâtre du Parc à Andrézieux


<< article précédent
Le club des 5