« On n'a pas besoin de créer davantage mais de réorganiser ce qui existe »

Rencontre avec Yuval Pick, chorégraphe de talent, avant la présentation de sa nouvelle création "Are frinds electric?" à la Comédie de Saint-Étienne, sur une musique de Kraftwerk. Propos recueillis par Monique Bonnefond.


L'attention à l'autre, l'idée de fraternité, le rapport entre l'individu et le groupe, la survie de l'homme dans un environnement urbanisé et mécanisé vous importent énormément. Rien de ce qui est humain ne vous est étranger. Est-ce tout cela qui est au cœur de votre création ?
Yuval Pick : Oui, il y a beaucoup de ça. J'ai choisi la musique de Kraftwerk, les pères de la musique électronique parce que le son était analogique et pas encore digital. Cela touche une mémoire collective avec laquelle la musique pop permet de converser, de définir les rapports entre l'individu et le collectif. J'ai trouvé dans les albums de la période de 1974 à 1978 comme Autobahn, Trans-Europe Express et Die Mensch-Maschine des rythmes qui m'évoquent les battements d'un cœur, un mouvement de respiration, une marche, quelque chose de très romantique qui naît. Un nouveau romantisme européenréinterprétant la relation de l'homme à son environnement, un environnement urbanisé et toujours plus mécanisé qui aliène l'homme.

Devant l'accélération encore plus démentielle des rythmes et le constat que la machine se grippe, comment votre danse peut-elle répondre à la sinistre période actuelle ?
Il faut inventer une nouvelle machine, la reconstruire de nouveau, la réorganiser, inventer un nouvel espace, un nouveau fonctionnement. Il y a beaucoup trop d'informations. On n'a pas besoin de créer davantage mais de réorganiser ce qui existe, d'utiliser le savoir déjà fait. Avec cette création, je travaille à partir d'une musique existante pour évoquer une mémoire collective. J'ai eu envie de revisiter et d'utiliser une musique ancienne, de puiser dans l'univers de Kraftwerk où j'ai trouvé des éléments très intrigants que j'ai eu envie d'intégrer à ma recherche.

Vous vous tournez également vers des danses traditionnelles européennes comme le menuet par exemple.
Tout à fait. Dans le menuet, on s'approche et on s'éloigne. C'est la motivation principale de cette danse. Cela permet de travailler les trajectoires spatiales. C'est l'élasticité de l'espace qui se crée entre les êtres qui m'inspire, le mouvement comme une "mécanique humaine".

On est soumis à un moule, à la partie non choisie de l'existence qui nous dirige trop, mais on a la liberté, la capacité de réorganiser, d'imaginer d'autres choses, de dépasser la peur de l'autre.

Justement, chorégraphe du mouvement, votre approche chorégraphique aborde souvent le mouvement comme une "mécanique humaine". Les deux termes ne sont-ils pas un peu antinomiques ? Pourriez-vous préciser votre travail sur le mouvement ?
Non, les deux termes ne sont pas du tout antinomiques. Avec les danseurs nous allons fabriquer à partir de la torsion, une "forme" qui sera le moteur de l'élaboration du mouvement, nourrie par les étonnants rythmes de Kraftwerk que nous accorderons avec "ces gestes qui traversent le temps".

Au fond, "rien n'est nouveau sous le soleil" ?
Il y a des cycles dans l'histoire, des choses qu'on répète, la haine envers les autres, la peur de la différence, la rencontre avec l'autre, difficile, mais il y a des points de fuite, des échappatoires, un flot, une dynamique.

Quels sont-ils ?
C'est la conscience qu'on peut faire autrement. On est soumis à un moule, à la partie non choisie de l'existence qui nous dirige trop mais on a la liberté, la capacité de réorganiser, d'imaginer d'autres choses, de dépasser la peur de l'autre. Nous sommes vivants et la vie nous donne des possibilités. Il faut rester dans le présent. Nous sommes les vivants d'aujourd'hui. Il faut refaire, voir comment on peut rebondir, toujours battre et toujours se battre.

Are friends electric?, les 8 et 9 décembre à 20h à la Comédie de Saint-Étienne


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