Chocolat

Avec quatre réalisations en dix ans — dont trois depuis juin 2011 — on va finir par oublier que Roschdy Zem a commencé comme comédien. Il aurait intérêt à ralentir la cadence : son parcours de cinéaste ressemble à une course forcenée vers une forme de reconnaissance faisant défaut à l'acteur… Vincent Raymond


Rien de tel, pour un réalisateur désireux de s'assurer un consensus tranquille, qu'un bon vieux film-dossier des familles ou la biographie d'une victime de l'Histoire. Qu'importe le résultat artistique : il sera toujours considéré comme une entreprise morale nécessaire visant à rétablir une injustice et réduit à sa (bonne) intention de départ, si naïve qu'elle soit — on l'a vu il y a peu avec le documentaire mou du genou Demain de Cyril Dion & Mélanie Laurent, encensé pour les vérités premières qu'il énonce, malgré sa médiocrité formelle et sa construction scolaire.

Chocolat est de ces hyper téléfilms néo-qualité française qui embaument la reconstitution académique et s'appuient sur une distribution comptant le ban et l'arrière-ban du cinéma, figée dans un jeu "concerné", dans l'attente de séquences tire-larmes. La bande originale de Gabriel Yared, étonnamment proche des mélodies de Georges Delerue — mais ce doit être un hasard, Yared étant plutôt connu pour ses “hommages” à John Williams — incitant fortement à l'usage du mouchoir. Une seule bonne idée, ayant du sens en dépassant le clin d'œil : avoir confié le rôle des frères Lumière à un duo de comédiens prodigieux et rarement réunis, les frères Podalydès. Les rares instants qu'ils passent à l'écran illuminent le film. Trop brefs, hélas : la durée d'une bobine de Cinématographe, soit cinquante secondes…

Une tranche de ghetto

Est-ce du cinéma ? De l'image utilitaire convenue par paquet de 24 ou 25, plutôt. On est à mille lieues de la crudité de Vénus Noire (2010) d'Abdellatif Kechiche, qui posait une image brutale, dépourvue d'enluminures enjouées, de l'impitoyable "consommation" des Noirs par la société du spectacle du XIXe siècle. Les silences douloureux de la Vénus hottentote apparaissent en effet politiquement plus éloquents que les maigres discours revendicatifs d'un Chocolat manifestant son mécontentement d'être l'éternel faire-valoir du Blanc. Sa prise de conscience est ici aussi bâclée que les flashbacks évoquant son enfance. Vouloir conter l'Histoire est certes louable ; mais savoir raconter des histoires reste un préalable.

Metteur en scène, Roschdy Zem va-t-il après Omar m'a tuer et Chocolat poursuivre dans cette voie du cinéma de réhabilitation ? Omar Sy, après Samba, endossera-t-il d'autres rôles d'oubliés, malmenés par une société discriminatoire et raciste ? Gare à l'écueil du déterminisme : se sentir obligé de représenter un groupe revient à se piéger soi-même, à s'imposer des limites, à se ghettoïser.

Chocolat
de Roschdy Zem (Fr, 1h50) avec Omar Sy, James Thiérrée, Clotilde Hesme…


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