Tempête

Comment donner à un film la chair du réel, sans tomber dans le travers de l'artificiel ? Pour Pialat, en surprenant ses comédiens dans de longs plans-séquences ; pour les Dardenne, en privilégiant la caméra à l'épaule. Collardey, lui, demande à des non-professionnels de rejouer… leur vie.


Un cinéaste est-il un puissant manipulateur d'êtres ou bien un orfèvre méticuleux veillant à créer les conditions favorables au surgissement d'une vérité espérée ? Si chacun procède à sa manière, perverse ou empathique, douce ou rude, tous — du moins, ceux qui pratiquent ce métier avec conscience et quelque ambition artistique — courent après le fantasme d'une fraîcheur et d'une spontanéité saisissantes à l'écran, d'un sentiment d'inédit. D'aucuns mélangent des hommes, des femmes ad libitum, s'enkystant dans une vérité contrefaite et vérolée rappelant à chaque seconde son caractère factice ; d'autres parviennent à restituer une authenticité telle que le spectateur en oublie parfois qu'il assiste à un spectacle cinématographique. Samuel Collardey appartient cette seconde catégorie, capable de captiver au sens premier, avec une histoire simple de père célibataire se débattant dans les tourments ordinaires. Cela, sans recourir au joker de l'exotisme touristique : lui s'en tient à un arsenal… maritime.

Le travailleur de l'amer

Alors oui, Collardey transforme des personnes en personnages, en s'inspirant de l'existence de trois membres d'une famille, et en leur faisant ré-interpréter devant la caméra ce qu'ils ont vécu. Mais pas dans une démarche voyeuriste : c'est un désir bienveillant de véracité qui prime, permettant à la parole des principaux concernés de s'exprimer, au sein d'une fiction récomposée avec le minimum de filtres possible.

Quant aux tumultes d'importance annoncés par le titre minimaliste, ils couvent plus qu'ils n'éclatent devant nos yeux : les tempêtes sont des menaces permanentes et multiples (économiques, affectives, juridiques…), mais Dominique Leborne mène sa barque prudemment entre chacune d'elles : en marin expérimenté, il a la sagesse de ne pas chercher à les braver de front pour prouver sa valeur. Surmonter les petits naufrages du quotidien — ceux qui entament la coque à chaque lame — demande davantage de courage et d'endurance. Une abnégation et une humilité plus impressionnantes encore pour un acteur non professionnel, qui ne peut dérouler d'envolées déclamatoires, de numéros extravertis, de surjeu. Chronique intimiste et respectueuse, Tempête marque les ellipses nécessaires pour s'abstraire de toute indiscrétion ; mais son cri discret est pareil à une gifle d'embruns glacés. VR

Tempête de Samuel Collardey (Fr., 1h29), avec Dominique Leborne, Matteo Leborne, Mailys Leborne…

À signaler : projection et rencontre avec Dominique Leborne, jeudi 25 février à 20h au Cinéma Le Méliès Jean Jaurès


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