En avant, Mars !

Même si l'hiver a été insignifiant, prendre un peu d'élan pour basculer dans le printemps ne se refuse pas. Ça tombe bien : moult films à l'affiche de mars ont des fourmis dans les jambes et la tête, parfois, dans les étoiles… Vincent Raymond


Bouger, s'exiler, migrer ; et puis retourner là où tout a commencé, pour enclencher autre chose… Le voyage, grande affaire de l'existence — qu'on perçoit souvent comme une gigantesque traversée —, est aussi le propre de l'Homme. Et dans une période où le repli trémulant derrière les frontières est brandi comme une panacée par tous les complices objectifs des obscurantismes rétrogrades, voir fleurir sur les écrans pléthore de films aux semelles de vent à quelque chose de réconfortant. D'autant que le voyage prend, selon les cinéastes, des formes très diverses…

La tentation de l'ailleurs

Le plus proche dans sa sortie (2 mars) va le plus loin dans le délire, mais aussi dans sa complexité ontologique : vrai-faux film anglais tourné en Belgique par le Français Antoine Bardou-Jacquet avec l'Américain Ron Perlman Moonwalkers, s'inspire de cette fameuse rumeur selon laquelle la conquête de la Lune aurait été simulée, la Nasa ayant commandité à Kubrick le tournage d'un faux alunissage. William Karel avait signé un prodigieux documentaire (Opération Lune) sur le mode sérieux, on glisse ici dans la comédie d'espionnage sous psychotropes façon Guy Ritchie. Beaucoup plus plaisant au rayon europudding que A Perfect Day (Un jour comme les autres), de Fernando León de Aranoa (16 mars), avec Mélanie Thierry, Tim Robbins et Benicio del Toro rappelant l'esprit du No Man's Land de Danis Tanović : une situation de conflit absurde, une équipe d'intervention des Nations-Unies, des humanitaires… Un court métrage bien senti aurait pu suffire à montrer la bêtise au front de taureau des administrations, alors pourquoi avoir poussé le vice sur 1h46 ?

Si l'on veut un autre film sur les conséquences de la guerre, alors il faut se ruer sur Louis-Ferdinand Céline (9 mars). Emmanuel Bourdieu s'inspire d'un épisode de la période d'exil au Danemark durant lequel l'écrivain génial mais antisémite, styliste novateur mais collaborationniste fieffé, reçut l'un de ses plus fervents séides, Milton Hindus. Venu pour plaider la cause de l'artiste, cet intellectuel juif américain découvrit à ses dépens un roué manipulateur. Encore un rôle incandescent de monstre pour le noueux Denis Lavant, aussi fascinant que cauteleux dans la peau de l'immonde docteur.

Partir, revenir

Ce sont souvent les racines familiales qui obligent à prendre le billet retour. Dans Marseille (16 mars), Kad Merad quitte le Canada pour aller au chevet de son père. Il n'aurait peut-être pas dû : malgré son évidente sincérité, le comédien-réalisateur n'est pas parvenu à passer au tamis ses (bonnes) intentions ; il livre un film désordonné et chimérique, entre la comédie molle et le drame avorté. Voyage plus accompli pour la migrante irlandaise de Brooklyn de John Crowley (9 mars), qui s'offre une parenthèse dans sa verte patrie d'origine après s'être fixée aux États-Unis… pour constater qu'elle doit définitivement couper les ponts. Comme Une éducation (également écrit par Nick Hornby), ce parcours initiatique de jeune femme offre à une comédienne une belle exposition : Saoirse Ronan. Plus inattendue est la réappropriation de son identité algérienne par le héros Good Luck Algeria de Farid Bentoumi (30 mars). Campé par Sami Bouajila, ce petit patron au bord de la faillite, arrache une qualification pour les JO d'Hiver, poussé par Franck Gastambide (qui troque sa casquette de Kaïra contre un bonnet de coach). L'amour du drapeau, du maillot et de la famille se mêlent dans ce conte vantant le dépassement de soi. L'endurance aussi est mise à l'épreuve dans Saint-Amour (2 mars), un road movie de Kervern & Delépine ayant de la cuisse, qui prend pour prétexte la dive bouteille pour rapprocher un père et un fils éleveurs — deux bouchons dérivant sur un océan de non-dits. Intéressé par ce qu'il fait, Depardieu oublie de se transformer en moujik désinvolte ; quant à Poelvoorde, l'œil chassieux et la mèche grasse, il se montre plus touchant que jamais. Enfin, il y a les voyages immobiles, où l'on tourne en rond, au propre et au figuré. Tels ceux effectués par Kyan Khojandi dans Rosalie Blum (23 mars), adaptation bien loupée par Julien Rappeneau de la BD de Camille Jourdy avec une Noémie Lvovsky surjouant l'effacement chuchoté. On se console (un peu) avec Anémone et Philippe Rebbot, égaux à eux-mêmes…


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