« Le glamour du ballet, c'est du bonbon »

Ceux que Maupassant appelait "les éclopés de la vie" sont souvent mis sur la touche. Mais il existe des personnes qui, dépassant la peur, amènent à porter un regard différent sur le handicap. C'est le cas d'Éric Languet, pépite mise en lumière par le festival DesArts//DesCinés qui, depuis six ans, nous offre des spectacles hors des sentiers battus. Propos recueillis par Monique Bonnefond


Danseur étoile au Ballet Royal de Nouvelle-Zélande, comment est née votre envie de danser avec des personnes si différentes de par leur handicap ?
Je me suis toujours senti à la marge. J'ai un rapport ambigu avec les pouvoirs. Dans la famille des cabossés, je trouve peut-être un écho à ma propre inadaptation sociale.

Comment s'est concrétisée cette envie de danser avec des handicapés ?
J'ai été complètement chamboulé par ma rencontre au sein de la compagnie britannique DV8 Physical Theatre, avec Davide Toole, danseur au handicap très visible. Quand je l'ai vu arriver, sans jambes, je l'ai trouvé très beau et j'ai été bouleversé à jamais. J'avais besoin de comprendre par une réflexion sur le corps "autre". J'ai alors développé des ateliers de danse intégrant des personnes handicapées et non handicapées. C'est au cours d'un de ces ateliers que j'ai rencontré Wilson Payet qui est depuis quelques années danseur, dans la compagnie Danses en l'R.

Un danseur étoile éprouve un grand bonheur à être sous "les feux de la rampe". N'éprouvez-vous pas un peu de nostalgie ?
Pas du tout ! Je me moque de briller socialement. Le glamour du ballet, c'est du bonbon, mais qu'est-ce que ça a à voir avec le monde dans lequel on vit, où les trop gros, les trop pauvres, les trop vieux, tous ceux qui ne sont pas invités au bal, souffrent ?

« Dans la famille des cabossés, je trouve peut-être un écho à ma propre inadaptation sociale. »

Avec un handicapé, quelle est l'attitude juste ? Celle qui n'est ni de la compassion, ni de l'empathie, ni de l'aide pour faire à sa place ?
Je parle du handicap comme de la norme. Quand je danse avec Wilson, je considère que nous sommes tous deux de grands mortels. Les handicapés me ramènent à ma condition de grand mortel, de grand fragile. Et ça nous lie.

Vous devez veiller à ne pas demander à Wilson des mouvements que ses limites ne lui permettent pas d'exécuter ?
On n'a que les limites qu'on se donne. Il bouge d'une manière qui n'est pas la mienne. Il s'adapte, trouve d'autres solutions.

Comment vit-il le regard des autres ?
Il évolue. Il est de moins en moins attaché à la reconnaissance. Au quotidien, ça reste très difficile. Il y a beaucoup de boulot avant qu'une personne soit considérée comme une personne avant d'être un handicapé.

Fragments d'un corps incertain de la Cie Danses en l'R, samedi 30 avril à 16h30, salle Jeanne d'Arc
Festival DesArts//DesCinés du 18 au 30 avril dans la région stéphanoise


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