« Ceux qui achètent encore du support physique sont les vrais amateurs de musique »

À l'occasion du "Disquaire Day" 2016 qui se déroule le samedi 16 avril, nous avons posé quelques questions à propos de ce jour et de son métier à Harold Madiou. Ce dernier fait partie des figures incontournables du disques à Saint-Étienne depuis plusieurs années chez Forum. Propos recueillis par Nicolas Bros.


Pourriez-vous nous dire depuis quand êtes-vous disquaire ?
J'ai débuté dans le métier il y a quinze ans, à Rennes chez le mythique disquaire Rennes Musique, qui n'existe malheureusement plus, puis dans une grande enseigne chez qui on portait des gilets vert et jaune moutarde, et qui travaillait plutôt bien le disque à l'époque. Je suis arrivé à Saint-Étienne il y a huit ans, j'ai alors rejoint Forum. La partie disques est à l'étage du magasin, pour ceux qui n'ont toujours pas compris...

Comment en êtes-vous arrivé à faire ce métier ?
J'ai passé mon adolescence et mes années universitaires à Rennes, ville à l'effervescence musicale un peu hors-normes. Quand on baigne dans un tel environnement cela donne des idées... Et je n'étais pas doué pour jouer de la musique. J'ai lâché la fac et je me suis retrouvé à faire une formation de disquaire (un diplôme qui n'existe pas en fait) avec l'Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique du Mans. Ce qui m'a aidé à entrer dans ce petit milieu, un peu fermé, mine de rien, et à y faire ma place.

En quoi consiste le "Disquaire Day" ? Depuis quand cela existe ?
Le "Record Store Day" a vu le jour en 2008 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, puis l'événement a été importé et francisé (à moitié) en 2010. C'est la journée internationale des disquaires indépendants, un petit moment dans l'année pour mettre en valeur une profession qui n'est pas encore un "métier d'antan". Ce jour-là, les boutiques participantes peuvent proposer à leurs clients des disques (principalement vinyles) exclusifs édités spécialement pour l'occasion. Il y en a un peu pour tous les goûts, des rééditions de vieilleries introuvables, des versions alternatives de certains albums (en couleur, ou avec une pochette spéciale par exemple), mais aussi des artistes émergeant qui publient leurs premiers titres en avant-première, et dans la grande majorité des cas ce sont des éditions très limitées. L'opération peut paraître très marketé, avec des gros médias partenaires (France Inter, Le Monde, Les Inrocks...) et quelques sponsors, mais l'idée est bien de promouvoir le petit commerce, le disquaire qui n'est pas si loin de chez vous (quand il y en a un dans votre ville), et bien entendu les gros marchands ne participent pas au "Disquaire Day".

« Ce jour-là, les boutiques participantes peuvent proposer à leurs clients des disques (principalement vinyles) exclusifs édités spécialement pour l'occasion. »

Quelles animations sont prévues à Saint-Étienne ?
Cette année, nous recevons le groupe autrichien SenLotus, plutôt pop-rock, qui nous offre une petite session acoustique (à 16h30), et qui jouera le soir-même au Thunderbird Lounge avec le groupe local Appele- Moi Personne. L''atelier Stereobroke nous présentera également quelques belles pièces rétro hi-fi (platines, amplis...)

Trois coups de cœur à propos d'éditions vinyles sorties à cette occasion ?
Il y a beaucoup de choses très tentantes... Un 45 tours de The Liminanas, Garden Of Love tiré de leur tout nouvel album qui arrive ces jours-ci, un groupe que j'adore. Chez Born Bad Records, Moonshine vol.1, un 25 cm sur lequel se rencontrent Forever Pavot, Dorian Pimpernel et Julien Gasc. Enfin le joli petit coffret New Orleans Funk de chez Soul Jazz Records.

Comment évolue votre métier ?
Je n'ai pas envie d'être pessimiste, mais ce n'est pas vraiment évident de vendre des disques aujourd'hui, c'est certain. Les gens sont capables de mettre quarante balles dans un t-shirt fabriqué au Bangladesh, claquent un demi-smic dans un téléphone, et quand il se pointent ils sont scandalisés de payer un disque entre 15 et 20 euros... Ce n'est plus un marché de masse, et ce n'est pas plus mal d'ailleurs, ceux qui achètent encore du support physique, ce sont les vrais amateurs de musique. Internet a fait du mal, et fait encore du mal aux boutiques (mp3, amazon...), mais c'est aussi un outil incroyable pour élargir le champ d'audition des gens, éveiller leur curiosité. Le digital peut, et doit, cohabiter avec le cd ou le vinyle. Mais face au "tout numérique" beaucoup reviennent à des valeurs sûres (et concrètes), le vinyle par exemple, et aller l'acheter chez un disquaire. Prendre le temps de fouiller dans les bacs, trouver ce qu'on cherche, et un autre disque qu'on ne s'attendait pas à croiser, les rapporter à la maison, ouvrir la pochette, le poser sur la platine, prendre le temps d'écouter, avec une petite pause au milieu de l'album pour passer à la face B... déguster de la musique. C'est un peu comme pour la bouffe, les gens se rendent compte qu'on peut se faire plaisir si on s'en donne la peine. C'est peut-être ce qui sauvera les disquaires indépendants.

SenLotus, samedi 16 avril à 16h30 chez Forum Disques, 5, rue Michel Rondet à Saint-Étienne
SenLotus + Appelez-moi Personne, samedi 16 avril à 21h, au Thunderbird Lounge à Saint-Étienne


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