Comment ça, il n'y a pas de Mai ?

En mai, le cinéma ne fait pas ce qu'il lui plaît : il tourne autour de la Croisette, où des dizaines de films sont présentés avec tonitruance à des professionnels réunis en conclave. Le vrai public, quant à lui, devra attendre des mois pour apprécier la sélection en salles. À d'infimes exceptions près… Vincent Raymond


Sur sa Côte et sous son ciel azuréens, Cannes fait la pluie et le beau temps de l'année cinématographique. La quinzaine est ce moment prodigieux où des professionnels de la profession se livrent à un gavage insensé de productions audiovisuelles et les soumettent sans recul ni distance à leur appréciation. Se condamnant à émettre des jugements lapidaires et extrêmes, s'abstenant de tout avis mitigé parce que le rythme effréné du festival les presse et pousse à faire assaut de saillies définitives, ces intoxiqués au binge viewing s'abîment parfois dans des surenchères risibles lorsqu'elles sont suivies de prises de positions diamétralement opposées, l'exaltation cannoise évaporée. Et affligeantes lorsqu'elles ont des films pour victimes collatérales. La Forêt des songes de Gus Van Sant, vilipendé et sifflé lors de sa présentation l'an dernier n'est qu'un exemple parmi tant d'autres : il aura fallu onze mois pour faire oublier sa volée de bois vert et un faux-nez (en tout cas, un nouveau titre, Nos Souvenirs) pour qu'il puisse repointer son museau sur les écrans.

En même temps dans les salles…

Toutes sections confondues, c'est près d'une centaine d'œuvres inédites qui est officiellement présentée à Cannes entre le 11 et le 22 mai. Mais seuls six films, dont trois appartenant à la compétition, seront simultanément soumis aux yeux du public. Ouvrant le bal (et la 69e édition du festival), le Woody Allen annuel, Café Society (11 mai) réunit Jeannie Berlin, Kristen Stewart, Jesse Eisenberg et Blake Lively. Comme à l'accoutumée, le cinéaste new-yorkais s'entoure de la jeune garde pour composer une évocation des années trente. Dans la foulée, Money Monster (12 mai) de Jodie Foster s'intéressera à la finance et à ses dérives dans un thriller dont la distribution semble empruntée à Soderbergh — George Clooney y côtoie en effet Julia Roberts. Interprété par Fabrice Luchini, Juliette Binoche et Valeria Bruni-Tedeschi, Ma Loute de Bruno Dumont (13 mai), donnera un avant-goût de la compétition. Son affiche de prestige semblant taillée pour les marches rouges du Palais, scelle pour le réalisateur plusieurs retrouvailles : avec son incandescente comédienne de Camille Claudel 1915, ainsi qu'avec le Festival de Cannes où L'Humanité avait été consacré par un Grand Prix en 1999. Sa présence en lice prouve que le sélectionneur Thierry Frémaux et lui ont su se rabibocher en gentlemen, après s'être ouvertement chamaillés lors de précédentes non-sélections. Le succès de sa série P'tit Quinquin, rappelant l'importance et l'éclectisme de Dumont dans le paysage, aura sans doute contribué à la rendre incontournable cette année. Tant mieux. Sur un autre registre et hors compétition, The Nice Guys (15 mai) bénéficiera d'une projection de minuit. On doit cette comédie policière réunissant Russell Crowe, Ryan Gosling et Kim Basinger, située dans le Los Angeles des années 1970, à Shane Black, scénariste hyperactif et réalisateur du récent Iron Man 3 — les spectateurs la prendront-ils pour une récréation, trois jours à peine après le début des festivités ? Suivra bien vite Pedro Almodóvar, grand abonné de la Croisette où il vient pour la cinquième fois en compétition. Parviendra-t-il cette fois à remporter la Palme qu'il avait manquée de peu en 1999 avec Tout sur ma mère ? Adapté d'Alice Munro, Julieta (18 mai) parle une nouvelle fois de deuils, de famille, de disparitions, et intègre la sociétaire Rossy de Palma à son générique… On ne change (presque) pas une équipe qui gagne (presque)… Dernière curiosité attendue, le nouveau Paul Verhoeven battant pavillon français, adaptation de Philippe Djian avec Isabelle Huppert : Elle (25 mai). La simple juxtaposition de ces trois noms produit comme une odeur de soufre. Ce sera en tout cas l'occasion de renouer avec le cinéaste néerlandais, absent des écrans depuis une décennie. Il sera au moins indirectement présent au palmarès puisque les cérémonies d'ouverture et de clôture seront animées par son comédien Laurent Lafitte.

Mais aussi en mai…

Les palmiers ne sont pas l'alpha et l'oméga du mois de mai, loin s'en faut ! Il faut compter sur un film de Noël aux intrigantes résonances Stephen-Kingiennes, Krampus de Michael Dougherty ainsi qu'une œuvre espagnole montrant les difficultés rencontrées par un jeune homme cherchant à se faire effacer des registres catholiques, Dieu ma mère et moi de Federico Veiroj (4 mai). Sans oublier Men and Chicken de Anders Thomas Jensen (25 mai), une comédie déjantée et hybride à plus d'un titre campée par un Mads Mikkelsen méconnaissable. Vous ne verrez plus les poulets du même œil…


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