Nicolas Winding Refn : « La créativité n'a aucune limite »

Revenu bredouille de Cannes, The Neon Demon avait pourtant tout pour plaire à George Miller : c'est un film d'horreur adolescent. Explications par ce pince-sans-rire élégant qu'est Nicolas Winding Refn.


Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur le milieu de la mode ?
En fait, je ne l'ai pas choisi, je voulais faire un film sur la beauté. Tout le monde a un avis sur cette notion : soit pour la considérer comme étant dépourvue d'intérêt, soit comme étant une valeur absolue. Même si elle apparaît largement dans de nombreuses facettes de notre vie, c'est évidemment dans l'univers de la mode qu'elle est la plus célébrée. Nous vivons dans un monde totalement obnubilé par la beauté, elle est devenue une obsession artistique et générale. Cette “monnaie” n'a jamais été dévaluée, mais sa durée de vie devient de plus en plus éphémère et se récolte de plus en plus jeune.

The Neon Demon n'est-il pas plus particulièrement un film sur l'intoxication par la beauté — ce qui, au passage, vous a fait encourir un risque de surdose en dirigeant Elle Fanning ?
(rires) Il n'y aurait pas de film sans Elle, c'est sûr ! La diversité d'opinions qui existent sur ce thème est très intéressante. Les gens partent du principe que le film porte une vision critique. Au contraire, il développe une vision futuriste, accentuant la vérité que mes scénaristes et moi avons observée. Notre envie initiale était de faire un film d'horreur sur une adolescente de 16 ans, qui soit également un mélo drôle, intéressant, maniéré ; coloré dans lequel il y aurait de l'obscurité. Mais aussi un film de science-fiction, exaltant, provocateur, avec une histoire conventionnelle — elle est similaire à celle d'Une étoile est née. The Neon Demon est conçu pour être à la fois divertissant, glamour et vulgaire. En un sens, c'est le film parfait pour Cannes !

« La créativité n'a aucune limite ! »

« Provoquer en étant conventionnel » : vous vous sentez un peu dandy ?
Ah oui ! Il y a des similitudes entre Oscar Wilde et moi : on prend plaisir à exposer des tabous de la société et à les utiliser d'une manière à la fois divertissante et flamboyante.

Quelles contraintes esthétiques suppose la représentation de la beauté à l'écran ?
Plutôt que la beauté, je cherche à montrer ce qui est intéressant à regarder. Je ne fais pas du théâtre, mais du cinéma, un art créé pour l'œil ; j'utilise donc tous les outils à ma disposition afin de raconter une histoire que moi-même je voudrais voir.

Donc, lorsque vous devez satisfaire un désir d'histoire, le recours à ces outils peut être sans limite ?
La créativité n'a aucune limite !

D'où vous vient cette attirance pour les couleurs vives, en particulier les teintes rouges ?
Je suppose que c'est parce que je suis daltonien, et que je ne peux faire des films qu'avec les couleurs que je distingue. Le rouge est très dominant parmi le spectre de celles que je perçois…

Pourquoi avoir co-écrit le scénario avec les dramaturges Mary Laws et Polly Stenham ?
Pour les scènes de femmes entre elles. Je ne suis jamais rentré dans les toilettes lorsqu'il y a dix femmes en même temps ; je ne sais pas ce qu'il s'y passe. L'ironie, c'est que lorsque l'on a lu le scénario avec Elle, je lui ai demandé si certaines scènes fonctionnaient de son point de vue de jeune femme de seize ans ; elle m'a répondu par la négative dans la plupart des cas ! Alors on est reparti de zéro… Mais sinon, je ne crois pas que les femmes aient un regard sur l'industrie de la mode qui soit très différent de celui des hommes.

Comment en êtes-vous arrivé à choisir Keanu Reeves pour jouer le directeur du motel où loge votre héroïne, Jesse ?
En réalité, il travaille dans ce motel (rires). En fait, j'ai toujours admiré Keanu ; alors, j'ai fait une sorte de pari : je lui ai proposé très peu d'argent pour être disponible pendant les sept semaines que durait le tournage — qui suivait l'ordre chronologique. Le moment où il a dit « oui » a été très, très, cool !

« Ma femme est très belle, elle est née très belle — pas moi. »

Avez-vous envisagé que Jesse connaisse une trajectoire moins tragique ?
Qu'on puisse la sauver ? Non ! Nous ne voulions pas faire un film sur une victime. La plupart des films qui traitent de l'industrie du divertissement racontent l'histoire d'une innocence qui arrive en ville, qui se fait corrompre par le système avant d'en ressortir brisée. Ici, c'est Jesse qui est le poison et rend tout le monde fou.

Arrivez-vous à trouver de la beauté autour de vous ?
Ma femme est très belle, elle est née très belle — pas moi. Mes enfants sont très beaux… Si j'étais une jeune fille de seize ans, je serais Elle Fanning.


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