Libres

Avec déjà quatre albums au compteur, Des Fourmis dans les Mains continue à mettre l'énergie du rock et la liberté du jazz au service de la poésie française. Douce gifle dont la puissance n'enlève rien à la sensibilité, le groupe cultive ses envolées lyriques où les cascades de mots livrent bataille à des projections de notes dans une valse percutante, bavarde mais pas avare de sens profond. L'écriture de son leader, Laurent Fellot, met en résonance l'ordre implacable de la nature et le désordre de nos vies, dans des chansons-histoires où l'imaginaire se joue de la réalité. Rencontre.


A l'écoute de vos chansons l'importance donnée à la voix, donc au texte, saute aux oreilles…
Je ne veux surtout pas m'enfermer dans des textes trop courts et avec le texte parlé, je peux raconter encore plus de choses. Mais c'est vrai, je reconnais que je suis très bavard ! Les chœurs qui habillent le texte sont autant une façon d'explorer la voix qu'un moyen de contrebalancer le texte parlé. On se rapproche presque du chant lyrique, c'est très jouissif à faire, même sur scène. Par moment la voix te fait plus vibrer que l'instrument.

Vos textes sont malmenés par le vent, les pluies diluviennes mais aussi l'oubli et le regret, dans un monde qui semble au final plutôt tourmenté…
Dans ce que j'écris ressort forcément un ressenti par rapport au monde dans lequel je vis, que je digère et restitue avec ma propre sensibilité. Ecrire permet souvent de se resituer soi-même, de se demander si l'on est libre de faire ce que l'on veut, si l'on peut encore vivre ses envies sans un regard extérieur parfois inquisiteur et surtout si l'on a encore la force de changer les choses.

On perçoit aussi dans vos textes une forte présence de l'univers marin avec la mer, les embruns, les bateaux… et pourtant vous vivez dans le Beaujolais !
Je suis fils de paysan, d'une famille nombreuse qui a toujours travaillé la terre. Gamin, il y a donc eu une espèce de manque de voyage et d'océan. Lorsque l'on partait en vacances avec mes parents, on était tellement nombreux avec mes frangins qu'il n'y avait pas assez de place dans la voiture pour emmener tout le monde ! Du coup tu pars au lac du coin dans un endroit tout pourri que tu détestes, alors tu imagines la mer juste derrière la colline et tu te crées comme ça des rêves d'enfants que tu vas garder toute ta vie.

Dans quelles conditions écrivez-vous et composez-vous pour le groupe ?
Presque toujours les textes arrivent en premier. J'écris au fil du temps, notamment en tournée : quand je suis sur la route beaucoup d'images me viennent de façon quasi-cinématographique. Mais j'écris aussi parfois dans l'empressement, par exemple lorsqu'il faut boucler un nouvel album. Cela passe alors par de longues périodes d'enfermement, avec mon ordinateur et tout un tas de papiers !

Dans quel état d'esprit passez-vous du studio à la scène ?
Il y a un côté très solitaire dans la création, parfois lourd à porter. Mais c'est un moment très particulier où les souvenirs qui se mêlent à l'instant présent. C'est assez indescriptible. La scène est elle davantage le moment du corps, il y a un rapport plus physique avec les instruments, avec le public. On se lâche un peu plus, c'est donc beaucoup plus festif. Après avoir beaucoup vibré et être passé par tous les états pour accoucher d'un album, on fait vibrer cette fois-ci les gens qui sont venus au concert. C'est une sorte de boucle. J'aime énormément discuter avec les gens après le spectacle car c'est ce qui est génial dans ce métier : on ne sait jamais qui on va rencontrer, ni ce que l'on va manger, ni à quelle heure on va se coucher !

Que change la reconnaissance et plus précisément les récompenses que vous avez reçues de l'Académie Charles Cros pour vos deux derniers albums ?
C'est certain que ça flatte l'ego quand on va chercher son prix chez France Inter ! On a déjà reçu trois récompenses de cette Académie, on les remercie d'ailleurs de nous avoir suivis de près comme ils l'ont fait. C'est du coup un peu plus simple pour l'équipe qui travaille dans l'ombre, pour le tourneur. Mais on fait quand même attention à garder les pieds sur terre, d'ailleurs ça ne fait pas de nous des hommes qui vont mieux dans leur tête ! C'est une belle reconnaissance mais ça ne change pas ce que nous sommes vraiment.

De quels artistes vous sentez-vous proches humainement ou artistiquement dans la chanson française ?
Il y a des gens que j'admire autant par leur talent que par leur personnalité, sans forcément les connaître personnellement, comme Brigitte Fontaine ou Arno. Je pense surtout à ma rencontre avec Loïc Lantoine, un mec génial qui est venu enregistrer chez moi. Je suis aussi très copain avec le contrebassiste-chanteur-performeur Fantazio et la chanteuse Camille.

Depuis dix ans vous sortez à peu près un album tous les trois ans…
C'est vrai. Et le prochain devrait arriver à l'automne 2017 ! Il est pratiquement écrit mais il reste encore beaucoup de choses à décider. On a toujours plein d'envies mais il faudra forcément trier un peu. On pense pourquoi pas à faire un clip pour chaque chanson qui ferait de l'album une sorte de film. Mais les chansons sont déjà tellement chargées qu'il faut réfléchir à des images plus light. Je travaille depuis dix ans avec le réalisateur Sylvère Petit sur des musiques de film, c'est passionnant…

Vous avez pour la scène deux formules différentes…
Oui, le groupe s'adapte à la demande en fonction des budgets et de la taille des espaces scéniques. On peut jouer en trio piano-contrebasse-batterie mais c'est en septet que notre répertoire prend toute son envergure, comme ce sera le cas à Roche-la-Molière. Les cordes du Ben Black Quartet apportent une dimension indéniable aux chansons, musicalement bien sûr mais aussi visuellement.

Vous avez parrainé la classe de chanson française de la Maîtrise de la Loire et vous serez de nouveau en concert dans la Loire, le 3 février, aux côtés des jeunes chanteurs encadrés par Christopher Murray…
Cela correspond chez moi à une grosse envie de transmission, autour de l'oralité mais aussi à propos de la part de rêve que l'on peut tous avoir, de la passion notamment pour la musique. Moi qui suis complètement autodidacte, je voudrais faire comprendre aux jeunes que tout est possible, que chacun peut jouer de quelque chose et surtout que tout le monde peut s'exprimer car on a tous quelque chose à dire.

Soirée des ouvriers spécialisés : Des Fourmis dans les Mains [+ Neeskens], vendredi 25 novembre à 20h30, Pôle Culturel l'Opsis à Roche-la-Molière


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