En novembre, obstinez-vous !

L'entêtement est-il une qualité, ou bien un défaut ? Si l'on en croit Paracelse, « c'est la dose qui fait le poison ». En tout cas, les films de novembre montrent combien un acharnement peut se révéler vertueux ou délétère…


Avec les premiers froids, les têtes de bois s'endurcissent et les esprits obtus s'obstruent subséquemment. En résulte une avalanche de personnages butés sur les écrans — encore faut-il faire le tri entre les pénibles cabochards et les méritants opiniâtres, à l'image du lanceur d'alerte Snowden auquel Oliver Stone consacre un biopic homonyme (1er novembre). Le combat forcené du brillant informaticien contre l'espionnage d'État illégal donne lieu à un cyber-thriller classique mais bien ficelé, ainsi qu'à un coup de gueule contre les candidats US à la Présidence, rétifs à la grâce de Snowden. Mais il faut parfois forcer les institutions pour obtenir justice ; c'est ce que montrent La Sociale (9 novembre) et La Fille de Brest (23 novembre). Le premier, un documentaire de Gilles Perret retrace le création d'un trésor commun, la Sécurité sociale, et sa mise en place par un leader de la CGT aussi humble que persévérant, Ambroise Croizat — étonnamment oblitéré depuis par l'histoire officielle. Nécessaire et instructif (y compris pour les élus) en ces temps de libéralisation galopante. Le second est l'adaptation par Emmanuelle Bercot (hélas bien moins inspirée que pour La Tête haute) de la croisade du Dr Frachon, cette pneumologue qui identifia un lien entre des atteintes cardiaques et la prise de Mediator. Rien d'inattendu dans ce film long, pesant, scolaire, si ce n'est un premier rôle à Sidse Babett Knudsen, la lumineuse révélation de Borgen et L'Hermine.

“With a little help from my friends”

Lorsqu'elle est partagée, en famille ou entre amis, l'obstination a de meilleures chances de faire aboutir un projet. Comme celui d'attendre un bébé aux portes de la cinquantaine dans Le Petit Locataire de Nadège Loiseau (23 novembre), où Karin Viard mène sa grossesse comme elle construit un château de cartes : dans la plus parfaite instabilité. Grâce à la structure familiale déglinguée et une distribution idoine (Philippe Rebot, Hélène Vincent), certains gags pourtant prévisibles arrachent des sourires — on n'ira pas jusqu'aux contractions. Moins atomisée, la marmaille de Ma' Rosa (23 novembre) fait bloc pour réunir la rançon que des policiers corrompus réclament pour libérer cette modeste revendeuse de drogue et son mari. Largement centré sur des séquences nocturnes et brut(al)es au commissariat comme dans les rues de Manille, le nouveau Brillante Mendoza lasse moins que les précédents ; en revanche, le Prix d'interprétation féminine à Cannes pour Jaclyn Jose reste incompréhensible.

On préférera suivre les Dernières nouvelles du Cosmos adressées par Julie Bertuccelli (9 novembre), portrait documentaire de Babouillec qui communique en désignant une à une les lettres composant les mots reflétant ses pensée — une révolution lui ayant donné accès à une forme de langage et d'écriture poétique toute mallarméenne. Ou bien accompagner les deux Thomas jusqu'aux glaces éternelles dans Le Voyage au Groenland de Sébastien Betbeder (30 novembre), une tendre fantaisie inuit où se mesure le chemin qu'un père et un fils doivent mutuellement faire pour se retrouver — les derniers mètres se révélant les plus difficiles à accomplir.

De mal en pis

Faisant face à cette fructueuse ténacité se tient la pertinacité vicieuse ; celle qui pousse, égare et appelle le drame. Dans Le Client, du génial Asghar Farhadi (23 novembre), l'obsession mesquine d'un homme dont la femme a été agressée à leur domicile par un inconnu transformera un épisode déjà traumatisant en un cataclysme épouvantable. Une fois encore, le cinéaste iranien construit une mécanique psychologique étourdissante, dont le dialogue (ce qui est dit/ce qui est tu) constitue l'implacable moteur. Cette constance dans la maestria le rapproche de Stéphane Brizé, lequel après La Loi du marché adapte Maupassant dans Une vie (23 novembre) en prenant bien soin de conserver son rigoureux style vériste, épuré de toutes les verrues imposées par l'usage ou la coutume. Le destin tragique d'une naïve fille d'hobereau mariée à un coureur et mère d'un panier percé, s'y déploie dans sa sévère crudité. Judith Chemla donne corps au déclin et à la déréliction progressifs de ce personnage se berçant d'illusions. On pourrait encore parler de Solan, le volatile fanfaron qui parie imprudemment la maison de son ami qu'il gagnera La Grande course au fromage (23 novembre), mais justement de ce film d'animation nordique de Rasmus A. Sivertsen au titre résumant parfaitement l'argument surréaliste, il n'y a pas de quoi faire un fromage…


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Mademoiselle : Telle est éprise qui croyait prendre