Ouvert la nuit : À la Baer étoile !

Farandole joyeusement erratique à travers un Paris nocturne sublimé, cette déambulation d'un directeur de théâtre aussi fantasque qu'impécunieux signe le retour du cinéaste-interprète Édouard Baer pour un film-synthèse superlatif : la plus mélancolique, hilarante, aboutie et (surtout) réussie de ses réalisations.


Inconséquent charmeur jonglant avec les mots et les promesses, épris de l'instant et du talent des autres, Luigi gère depuis vingt ans un théâtre parisien grâce à de l'argent qu'il n'a pas. À la veille d'une première, il doit pourtant en trouver en urgence. Ainsi qu'un singe. Le voici en cavale dans la capitale, escorté par une stagiaire de Sciences-Po au caractère bien trempé. La nuit est à lui !

Accompagner Édouard Baer n'a pas toujours été chose aisée : les délires de ses personnages de dandys logorrhéiques en semi roue libre au milieu d'une troupe de trognes, nécessitaient d'être disposé à l'absurdité, comme à l'humour glacé et sophistiqué cher au regretté Gotlib. Mais de même que Jean-Pierre Jeunet a réussi à cristalliser son univers dans Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Baer est parvenu à réunir ici la quintessence du sien. Si les deux auteurs partagent, outre la présence d'Audrey Tautou à leur générique, le plaisir d'entretenir une troupe fidèle et une affection certaine pour le Paris d'antan, les différences s'arrêtent là : Baer n'aime rien tant que faire en voler les contraintes et les cadres, voir jaillir la vie et les imprévus, quand Jeunet se claquemure dans ses intérieurs et millimètre jusqu'à la moindre syllabe.

Nuit magique, nuit de bazar

Pareil à une invocation aux zigzags du destin, ou à une bouffée d'optimisme forcené dans un océan marasmatique, Ouvert la nuit s'autorise toutes les invraisemblances apparentes sans jamais verser dans l'invraisemblable. Au fil de saynètes magiquement agencées pour donner une continuité fluide, il traverse de part en part un territoire abolissant toutes les frontières d'espace, de classe sociale et de temps par la vertu unificatrice de cette nuit engendrant d'éphémères et brumeuses fraternités. Peuplé de personnages pittoresques et de rencontres, parsemé d'un amour inconditionnel et enfantin, cousu d'un humour potache et pas tache, Ouvert la nuit est enfin un film d'essence purement parisienne — mais il s'agit là, une fois n'est pas coutume, d'un compliment.
Ouvert la nuit de et avec Édouard Baer (Fr., 1h37) avec également Sabrina Ouazani, Audrey Tautou, Grégory Gadebois, Michel Galabru… (sortie le 11 janvier)


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