Aristide Tarnagda : « L'universel passe par l'intime »

Avec Et si je les tuais tous madame ?, l'auteur et metteur en scène burkinabé nous offre un spectacle poético-politique, mêlant la violence d'un texte incisif au rythme de la musique hip hop du groupe Faso Kombat. Propos recueillis par Houda El Boudrari.


Quelque part dans le monde, un homme sur le trottoir d'une ville interpelle une conductrice qui attend que le feu passe au vert. Dans ce moment de suspension, Lamine dévide son histoire, celle de sa famille, et les tourments de son exil. Comment raconter toute une vie le temps d'un feu rouge ?
Aristide Tarnagda :
Au départ, j'avais écrit ce texte pour l'acteur qui le joue, Lamine Diarra, en réponse à une première pièce Les larmes du ciel d'août qui donnait la voix à la femme restée seule au pays à attendre le père de son enfant. Mais pendant la mise en scène, j'ai ressenti la nécessité d'introduire de la musique pour donner corps à ce texte, et incarner cette parole portée par plusieurs voix : Lamine, l'ami d'enfance Robert mort de n'avoir pas pu soigner son paludisme, le père, la mère. Pour la scénographie, j'ai décidé de faire confiance à la magie des mots et l'intelligence du spectateur. Le feu n'est donc pas représenté, pas de signe de voiture, rien qu'un plateau nu : que des mots, le corps, la voix, et l'énergie de l'acteur devraient participer à créer l'illusion de la rue.

On a l'impression que le "ciel d'août" est aussi un personnage principal de la pièce. Vous le décrivez comme vindicatif, cruel et assassin…
Oui dans les pays africains au climat tropical, le mois d'août apporte son lot de malheurs à ceux qui n'ont pas la chance d'être à l'abri de sa vindicte. Le rapport à la pluie est différent de l'Occident. Tout se fige, les gens rentrent chez eux et les sans-abris sont livrés au déluge, marécages et moustiques porteurs du paludisme.

D'ailleurs, vous glissez, dans le monologue poétique de Lamine, des diatribes anticapitalistes et un manifeste politique contre les Français de la néofrançafrique, les Américains et les Chinois qui viennent vendre leurs téléphones pendant que "les moustiques sèment le palu dans nos corps"…
Je crois à la nécessaire imbrication du poétique et du politique. On ne vient pas au théâtre pour y trouver la réalité crue, mais une poésie qui nous transcende. J'essaie de mettre cette émotion au service d'une autre vision de l'altérité. Quand on croise un Noir dans la rue, on est truffés de préjugés et on ne sait pas que, quelque part, des résolutions prises par l'ONU et des politiques occidentales cyniques et inconséquentes ont poussé ces gens à quitter leur terre, et les ont condamnés à l'exil. Je me suis toujours soucié, dans mon écriture, à ménager cet équilibre entre la magie du verbe qui nous unit et le témoignage de la réalité qui vient d'ailleurs pour qu'un spectateur de Tulle, par exemple, puisse aussi se reconnaître dans la pièce. L'universel passe par l'intime mais aussi par la poésie.

Et si je les tuais tous Madame ?, du mardi 7 au vendredi 10 février à 20h + samedi 11 à 17h, à L'Usine (Comédie de Saint-Étienne)


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