Raphaël Labouré Dompteur de lumière

Rencontre avec un artiste singulier et curieux de tout, un attachant Stéphanois pure souche, projectionniste au Méliès et photographe indépendant.


Qui n'a pas déjà croisé sa silhouette dans les milieux associatifs et culturels stéphanois ? Taillé comme une armoire normande, le bonhomme traîne pourtant la réputation d'un mec cool, plutôt discret voire taiseux. Tout le monde l'appelle Rara mais il préfère signer ses photos d'un énigmatique Rä². Raphaël Labouré est né en 1975 à Saint-Étienne, ville à laquelle il reste profondément attaché depuis toujours. Gamin, il est déjà sensible aux images, à ce qu'elles peuvent apporter d'indicible au-delà du premier coup d'œil. « J'ai le souvenir d'un travail que j'avais fait à l'école primaire, autour d'une photo qui représentait un escalier ainsi que des pieds qui suggéraient seulement une présence humaine. C'était à nous de faire parler l'image avec ce que l'on voyait et ce que l'on ne pouvait qu'imaginer. Je crois que cela m'a vraiment marqué. » Rara évoque aussi son père qui, ne lisant pas, attachait une importance particulière aux images des revues qu'il parcourait. « J'ai vite compris que les photos pouvaient raconter autant de choses qu'un texte, cela a sans doute été déterminant quand je vois où j'en suis et ce qui m'anime aujourd'hui. » Mais le chemin vers l'image fixe ou animée ne fut pas vraiment un long fleuve tranquille car la vie professionnelle de Raphaël commença par une formation d'électricien, métier qu'il exercera un temps avant que deux années d'objection de conscience ne viennent couper son élan. « J'ai atterri au Colisée, le cinéma de Saint-Galmier, où j'ai découvert le boulot de projectionniste. » Après une période de chômage pendant laquelle il cherche un peu sa voie, Rara est embauché par le cinéma Le France qui lui permettra de se professionnaliser dans cette nouvelle carrière qui s'annonce.

Du France au Méliès

Depuis 2002, Raphaël suit et traverse ainsi les hauts et les bas de cette institution stéphanoise, immuablement installée rue de la Valse dans le quartier Saint-François : le démantèlement de l'association ABC Le France qui sera transformée en Société coopérative d'intérêt collectif en 2010, la reprise par le Méliès en 2014, sans oublier l'ouverture de la seconde salle et l'abandon des bobines de pellicule au profit du tout-numérique. Pendant des années Rara a d'ailleurs photographié l'espace exigu des "cabines de proj'" du France, ainsi que les soirées de projections en extérieur mises en place l'été à la campagne ou dans différents quartiers stéphanois. « En fait, comme je n'ai vraiment pas de mémoire, la photo est pour moi une sorte de béquille pour ne pas oublier, pour garder une trace de ce que j'ai vécu. » Pendant une bonne quinzaine d'années, Raphaël passera de longues heures en photodidacte passionné dans le labo argentique du photoclub de la Loire, rue Raisin, avant de passer au numérique au début des années 2000. « L'agrandisseur noir et blanc est un objet qui m'a toujours passionné, il a fallu le comprendre et beaucoup pratiquer avant de le maîtriser convenablement. Mais le numérique m'a permis de revenir à la couleur et de bénéficier de l'immédiateté du résultat, ce qui est un plus vraiment intéressant. »

« La photo me fait rencontrer beaucoup de monde et me permet de sortir du quotidien. »

Après une grosse période de photos de concerts, notamment avec l'ouverture du Fil, Rara est revenu à la lumière du jour, shootant tout ce qui fait palpiter sa cité : la rue, les manifs, les collines stéphanoises, les places, les arbres… ce qui ne l'empêche pas de continuer à proposer ses services dans le monde du spectacle, principalement dans l'univers de la danse. L'artiste excelle dans le domaine du portrait en décor urbain, n'hésitant pas à avoir recours au grand angle, produisant des images fortes au style très personnel. Avec le temps, le photographe forge son style, sa patte, avec une sensibilité esthétique bien à lui. « La photographie me permet de saisir l'instant, de figer l'émotion, la fragilité ou la force. Elle rend possible l'interprétation du mouvement mais exige de dompter la lumière pour capter sa brillance. » Au-delà de la post-production sur Photoshop pour booster ses images, le photographe aime aussi s'essayer à différentes techniques, de la projection en mapping vidéo au lightpainting en passant par la création de GIFs ou encore la technique du multiflash. Rara surfe volontiers sur Tumblr pour découvrir le travail d'autres photographes et son implication dans la vie artistique locale en fait un personnage résolument ouvert sur les autres. « La photo me fait rencontrer beaucoup de monde et me permet de sortir du quotidien. Cela dit, mon travail de projectionniste me permet aussi de côtoyer des gens qui travaillent autour de l'image ou de la lumière, en plus de tous les films que je vois chaque semaine. »

Une curiosité inextinguible

Cinéphile averti, Raphaël apprécie le travail du chef-opérateur anglais Anthony Dod Mantle, lequel avait remporté le Golden Globe de la meilleure photo pour le film de Danny Boyle, Slumdog Millionnaire. « J'ai aussi fait une belle rencontre avec Caroline Champetier, directrice de la photographie notamment sur Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois. » Côté musique, Rara vient du metal et du punk, mais il écoute aujourd'hui des choses très différentes, du free-jazz à la world music, faisant la preuve là encore d'une curiosité inextinguible. « En ce moment je suis de près ce que fait le saxophoniste Guillaume Perret. Je l'ai déjà photographié et je vais le suivre sur deux de ses prochaines dates, à Clermont et Grenoble. » Le photographe signe régulièrement des images de presse pour divers groupes comme tout récemment avec le groupe Schlaasss, en résidence au Fil. Rara ne cherche pas spécialement à exposer son travail, il préfère le plaisir de la prise de vue et le temps passé à traiter ses images. Il est tout de même possible de découvrir ses meilleures photos au Nouai Borfa, place Jean Jaurès, ou encore sur son site web (http://rax2.fr/). Ecoutez, les photos de Rara parlent pour lui !


<< article précédent
Silence : Du doute, pour une foi