Le Comte de Bouderbala : « J'aborde des sujets clivants »

Sami Ameziane ou Le Comte de Bouderbala, a tourné pendant huit ans avec son premier "seul en scène". Cette année, il propose sa deuxième mouture. Cet ancien joueur international de basket-ball, passé par les USA et le slam, est un humoriste au parcours atypique portant un regard aiguisé sur le monde qui l'entoure. Rencontre avec le "Comte du Ghetto".


Pourquoi avoir attendu neuf ans avant de faire un second spectacle ?
J'ai eu la chance d'avoir un très bon "bouche-à-oreille" sur le premier spectacle et j'ai pu jouer dans de très nombreuses villes en France et à l'étranger. Du coup, j'ai pu évoluer avec lui pendant plusieurs années. Quant à ce second spectacle, je l'ai travaillé en continu. Au final, je l'ai écrit en deux mois et enrobé lors du troisième. Mais j'écris énormément, tout le temps. Au final, j'avais trois ou quatre spectacles de côté...

Depuis que vous avez débuté le stand-up, les sujets et "le rire" ont-ils évolué avec le temps ?
Il y a forcément toujours un lien avec l'actualité. Mais je pense qu'en France, il y a des sujets qui reviennent tout le temps. C'est d'ailleurs ce que je disais dans mon premier spectacle. La France accuse aussi vingt à trente ans de retard par rapport aux Américains. Il suffit de traiter ce dont parlaient les humoristes américains il y a plusieurs années pour voir que c'est la même chose chez nous.

Est-ce qu'on ose plus aux États-Unis lorsqu'on est humoriste ?
Non, chaque société a ses tabous et ses sujets délicats. Les Américains sont plus "touchy" sur des thèmes tels que l'esclavage, le 11 septembre ou les indiens d'Amérique. En France, ce sera plutôt la guerre d'Algérie, la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation...

Est-ce que vous vous imposez des limites sur les sujets que vous traitez ?
J'aborde des sujets assez clivants. Mais je pense qu'en "stand-up", en une heure et demie voire deux heures avec les gens dans un espace clos, on peut se permettre d'aller loin sur des thématiques. C'est ce qui est intéressant avec le live et le spectacle vivant. Cela n'est pas forcément possible en radio, à la télévision et sur Internet. Sur ce nouveau spectacle, il y a des sujets assez anxiogènes mais on rigole bien, je vous rassure.

« J'ai toujours aimé blaguer et faire rire les autres. »

Est-ce que vous continuez à consacrer chaque fin de spectacle à une séance de questions-réponses avec le public ?
Oui, toujours. C'est intéressant pour de nombreuses raisons. C'est un peu une mise en danger et c'est ce qui fait aussi le charme du spectacle. L'exercice du questions-réponses est justifié à ce moment de la soirée car le public a déjà vu et digéré le spectacle. Cela permet aussi de sortir des sentiers battus et de proposer autre chose.

Comment en êtes-vous arrivé à l'humour après avoir été basketteur et slammeur ?
En fait, j'ai toujours aimé blaguer et faire rire les autres. J'avais également besoin de rire à propos de nombreuses choses qui me sont arrivées. J'ai voulu en faire un métier, entre guillemets. Mais c'est surtout grâce à l'extraordinaire année que j'ai passée aux États-Unis alors que j'étais dans une période de "lose" en France, que j'en suis venu à faire ça. C'était après une grosse blessure qui m'a obligé à mettre un terme à ma carrière dans le basket. Je me suis dit que la meilleure manière de partager mes expériences était de monter sur scène et d'en faire des blagues.

Est-ce que ce nouveau spectacle diffère beaucoup du précédent ?
Je l'ai travaillé comme une suite du premier spectacle. Je trouvais qu'il y avait des sujets abordés dans le premier qui prêtaient à rire mais j'ai voulu extrapoler, par exemple sur les rappeurs et la "chanson dépressive à la française". Sinon, il y a des sujets complètement différents tels que la religion ou la représentativité des musulmans à la télé en passant par l'amour, la solitude de notre époque et forcément l'actualité dramatique de ces temps-ci.

Parlez-vous réellement six langues ?
J'ai étudié l'Anglais, l'Italien et l'Espagnol pendant mes études à l'université. J'ai fait une maîtrise de Langues Étrangères Appliquées. Mes parents sont Kabyles donc j'ai appris le Kabyle à la maison. Enfin j'ai appris l'Arabe sur le tard, lorsque je jouais pour l'équipe d'Algérie de basket. Les autres joueurs se foutaient tellement de moi que j'ai voulu savoir ce qu'ils racontaient à mon propos. (rires)

Êtes-vous toujours co-propriétaire du Théâtre Le République à Paris ?
Oui. Le mec a un demi-théâtre mais il a pas d'appart'... (rires) Heureusement que j'ai mon associé Jean-Philippe Bouchard dont la gestion d'un tel lieu est le métier. J'ai souhaité impulser quelque chose dans ce lieu. Et puis, c'est bien de pouvoir jouer chez soi, quand on veut, sans avoir besoin de louer de salles. Pouvoir établir une programmation comme on l'entend est un réel luxe. Cela entraîne forcément plus de travail mais on se bat pour notre indépendance.

Le soir des attentats du 13 novembre, vous étiez sur scène. Cet événement a-t-il marqué votre manière d'aborder votre travail ?
J'étais au courant dix minutes avant de monter sur scène de ce qui s'était passé. Mais la salle était remplie et j'ai quand même joué. J'avoue que ce n'était pas simple. Ca remuait et à la fin tu dois annoncer l'horreur. C'est à ce moment-là que tu te rends vraiment compte, qu'en étant sur scène, tu as la responsabilité du confort, du bien-être et de la sécurité des spectateurs. Cela fait réfléchir et responsabilise d'un certain côté. C'est aussi pour ça que je parle dans le second spectacle des attentats et de notre perception de ces événements dans notre quotidien. Là, quand j'en discute, ce n'est pas drôle mais, sur scène, il y a plus de vannes, je te rassure (rires).

Comte de Bouderbala 2, vendredi 3 mars à 20h30 à La Forge au Chambon-Feugerolles dans le cadre du festival des Arts Burlesques


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