Tranches de vie

À contre-courant d'une certaine déréliction de l'après-guerre, Dialogues des Carmélites est entré désormais au Panthéon de l'opéra français. D'une indélicate actualité, l'oxymore originel de nos républiques y défile dans un miroir sans tain : doit-on guillotiner au nom de la liberté?


Rocamadour 1936 : la vie intérieure de Francis Poulenc, trublion du célèbre "Groupe des Six" créé en 1920 par Cocteau et Satie, bascule. La modeste vierge, ciselée dit-on, dans le bois noir par Saint-Amadour, assimilé par la tradition chrétienne à Zachée, ramène l'exubérant auteur du Bestiaire, des Biches ou des Chansons Paillardes sur les sentiers spirituels de son enfance. Très libre, originale et surprenante, son œuvre exhalera toujours par la suite, ce séisme intérieur. Suivront une collection de pépites profanes, mais surtout sacrées, façonnant un univers musical unique et passionnant : Les Litanies à la Vierge Noire, le Stabat Mater, le Gloria, la Messe en sol, et surtout, Sept Répons des Ténèbres, qui forment l'aboutissement d'un parcours musical épuré. Discret par nécessité morale sur ses douleurs les plus intimes, il fera du détachement, le pivot invisible de son œuvre, épreuve suprême pour tout être humain. Le traitement dramatique qu'il réserve à la fin tragique des Carmélites en est l'illustration parfaite : une expérience musicale parmi les plus fortes jamais composées, un spectre qui hante l'esprit de l'auditeur.

Ascension vers l'échafaud

Créé en italien à la Scala en 1957, sur un livret de Georges Bernanos, l'ouvrage décollera en 1958 à Paris dans sa langue maternelle, avec un casting qui fait encore rêver aujourd'hui : Denise Duval, égérie et amie de Poulenc, Régine Crespin, ou encore l'inoxydable Rita Gorr. L'histoire de la pusillanime aristocrate Blanche, entrant au Carmel pendant la Révolution française, métamorphosée en parangon de courage, et préférant rejoindre ses sœurs sur l'échafaud plutôt que de vivre, interroge nos sociétés comme jamais. Les résonances historiques, politiques, spirituelles et sociétales s'entremêlent. De cet occident qui doute de tout, n'est-il pas pertinent de revisiter le péché originel? La vie se limite-t-elle au terrestre, au matériel, au visible ? La mise en scène de Jean-Louis Pichon, à défaut d'apporter des réponses à cette "Angst" métaphysique, souligne sans artifice le drame humain, et l'accompagne vers l'inexorable, dans un dépouillement que n'aurait pas renié le compositeur. Le plateau vocal de tout premier ordre (Svetlana Lifar, Vanessa Le Charlès, Marie Kalinine, Elodie Hache, entre autres) sera magnifié par la direction puissante, intelligente et respectueuse de David Reiland. Mais alors, pour qui sonne le glas ?

Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc, mer 8 mars à 20h, ven 10 mars à 20h et dim 12 mars à 15h, à l'Opéra de Saint-Étienne


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Le club des 5