Piers Faccini : « Les langues sont des instruments »

Le rêve est permis avec Piers Faccini. L'artiste "multi-carte" anglais d'origine italienne mais installé en France depuis plusieurs années, vient de sortir un nouvel opus I Dreamed an Island. Fouillé, ce disque nous emmène dans l'histoire, où les cultures et les langues se mélangent comme à l'accoutumé dans l'œuvre de cet artiste hors pair. Rencontre.


Comment avez-vous débuté la musique ?
Je suis arrivé étrangement à la musique par la peinture. Certes, quand j'étais adolescent, nous avions créé un petit groupe où je chantais, mais je ne prenais pas cela trop au sérieux. Ce que je voulais, c'était entrer à l'école d'art et peindre. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait, mais j'ai parallèlement toujours joué de la musique et écrit des chansons. J'ai écrit ma première chanson à 14 ans. Au début, j'étais un peintre qui jouait de la musique. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse. C'est à cause d'une série de coïncidences que je suis désormais plus musicien que peintre.

Vous continuez à faire des expositions. Avez-vous des expositions prévues prochainement ?
Pour le moment aucune car tout tourne autour de la musique et des concerts en 2017. L'album a été très bien reçu et il y a de nombreuses demandes pour des lives, même à l'international. C'est génial. Mais je continue d'exposer de temps en temps. Entre 20 et 25 ans, j'étais à fond dans la peinture. Puis, j'ai eu envie de monter sur scène. J'ai monté un premier groupe,  Charley Marlowe, lorsque j'habitais à Londres. Puis en 2001/2002, j'ai eu envie de faire de la musique en solo, sous mon propre nom. Je n'avais pas imaginé que quinze ans plus tard, je serais encore là.

Est-ce que l'album I Dreamed an Island est le prolongement du travail engagé depuis un moment sur des compositions aux influences variées ou bien un nouveau départ, une œuvre à part ?
Je pense que c'est un peu des deux. Ce jonglage-là est important à faire. Il y a comme un fil rouge en passant d'un album à un autre. Quand on aime un artiste, on a envie de le reconnaître, tout en étant surpris en l'entendant s'exprimer de manière différente. J'essaie toujours de créer cela. Il est vrai que depuis quelques années, j'ai un certain style dans ma manière de mélanger les traditions musicales de musiques du monde. C'est quelque chose que je peaufine et que j'essaie de creuser à chaque album. La différence de cet album-là, c'est son contexte conceptuel très spécifique avec une île utopique.

Comment en êtes-vous arrivé à cette île justement ?
Je m'intéresse beaucoup à l'histoire, je lis beaucoup. J'étais plongé dans des livres d'histoire notamment à propos d'al-Andalus, c'est-à-dire l'Espagne du Sud entre 800 et 1100. C'était une grande période de cohabitation entre les peuples, les religions, avec une énorme floraison de la culture, des avancées technologiques et scientifiques... Puis je suis tombé sur un moment équivalent en terme d'effervescence et de mélanges au 12e siècle, en Sicile et à Palerme en particulier. En découvrant cette page de l'histoire italienne et sicilienne que je ne connaissais pas, je me suis rendu compte que c'était parfait. Je pouvais alors engager un travail de mémoire à la fois personnel, mais valable également pour beaucoup de personnes originaires des régions autour de la mer Méditerranée. De plus, je pouvais montrer que le dialogue entre les cultures est très naturel. Nous avons tendance à l'oublier. Ce n'est pas du tout un travail nostalgique, mais plutôt une inspiration du passé pour parler d'aujourd'hui.

Cet album possède en effet un grand écho dans l'actualité et votre position d'italo-anglais vous met dans une situation idoine pour la réflexion. Vous essayez d'amener vos auditeurs à réfléchir à ce que nous vivons tous ces temps-ci ?
Oui exactement. C'est un travail qui se fait sous plusieurs angles. Le premier est de montrer que lorsqu'on arrive à vivre ensemble, avec tolérance, nous parvenons à créer les plus belles choses. Tout ce que l'on célèbre dans le monde, l'architecture, la poésie, lamusique, etc, en regardant de plus près l'inspiration de ces travaux, on s'aperçoit que c'est toujours le fruit d'un dialogue avec l'autre... C'est paradoxal, car on a tendance à vouloir "blanchir" la vision de l'histoire pour enlever les traces de métissages. Mais c'est pourtant ce qui permet à l'homme de faire les plus belles choses. Quand le roi Roger II avait sa cour à Palerme au 12e siècle, il a encouragé tous les poètes, les musiciens, les scientifiques, les philosophes à venir travailler là-bas. Il a créé un environnement pour qu'ils soient tranquilles. C'est grâce à cela que la Sicile était à cette époque l'endroit le plus sophistiqué au monde. J'essaie de montrer cela par la chanson. Ce n'est pas un manifeste politique. En concert, cela se ressent, car les gens entendent le mélange et le voyage que nous proposons et ils comprennent vite. Tout ce que je viens de dire, je l'ai dit, car je suis passionné par ce sujet et que nous avons une conversation, mais au final, l'argument le plus fort reste d'être touché par la musique.

Pourquoi vous intéressez-vous autant aux dialectes dans vos compositions ?
Ce que j'aime beaucoup dans les dialectes, c'est d'avoir l'impression d'accéder à quelque chose de plus ancien que l'italien ou l'anglais, qui sont des langues récentes... Les langues sont des instruments. Les dialectes sont la représentation d'une culture régionale forte. L'Italie a par exemple su garder ses particularités. Les gens parlent en dialecte chez eux et quand ils sortent parlent en italien.

Sur scène, vous êtes en trio avec Simone Prattico à la batterie et au xylophone et Malik Ziad au guembri et à la mandole. Mais comment avez-vous construit votre live ?
Le concert tourne principalent autour du concept du dernier album, mais nous jouons également des titres d'anciens albums. Chaque concert est unique et suit nos envies du soir en question. C'est un processus que l'on aime bien. C'est chouette de revisiter des anciens morceaux dans le contexte du nouvel album et s'apercevoir que tout reste cohérent.

Piers Faccini, samedi 11 mars à 20h30, au Centre Culturel Le Sou à La Talaudière


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