La petite datcha dans la prairie

Étrange univers que cet Eugène Onéguine. Génétiquement slave dans son rythme, symbole du Romantisme littéraire et musical russe, ses grands moments de lyrisme concourent à la signature musicale de l'auteur de "Casse-Noisette" ou de la "Cinquième symphonie".


De ses six années d'exil, Pouchkine revient avec un bissac empli de trouvailles littéraires. Eugène Onéguine, publié à partir de 1821, pendant presque dix ans en chapitres successifs, se distingue par son écriture en vers. Cette versification repose essentiellement sur le "tétramètre iambique", très prisé des auteurs russes. En termes simples, la scansion s'articule sur le principe: "syllabe courte-syllabe longue", répété quatre fois dans le même vers. Lorsqu'il compose Eugène Onéguine, avec le librettiste Chilovsky, en 1877-78, Tchaïkovsky tient à préserver le "spleen" ambiant créé par le poète. Ce souhait entre vraisemblablement en résonance avec la vie privée du compositeur, aussi placide que les puissants flots de la Néva ! Ce procédé rythmique récurrent confère à certaines scènes un phrasé particulier, où la musique semble découler de la magie du verbe. L'argument, qui n'est pas sans rappeler le synopsis très tourmenté de Werther, relate les déboires sentimentaux d'Eugène, jeune dandy désabusé et égocentrique, abusant des largesses financières paternelles pour ses menus plaisirs. Il fait la connaissance de Lenski, lui-même grand lecteur de Schiller et de Goethe. Une grande famille donc...

Les yeux d'Olga...

Dans la famille Larine, Lenski désire la main de la jeune Olga, tandis que sa sœur aînée Tatiana, plus romanesque, s'éprend éperdument d'Onéguine, passion qu'elle exprime dans le célèbre Air de la Lettre. Eugène l'éconduit et lui brise le cœur. Après un désaccord avec Lenski sur sa présence à l'anniversaire de Tatiana, Eugène, sarcastique, décide de marivauder avec Olga. Jaloux, Lenski le provoque. Eugène le tue accidentellement. Il passera le reste de sa vie à se morfondre sur son ami et sa Tatiana perdus. A Saint-Étienne, c'est à un solide plateau vocal qu'il incombera de défendre le romantisme russe : Sophie Marin-Degor et Anna Destraël forment une sororité vocale parfaitement crédible, tandis que Svetlana Lifar (merveilleuse Mme de Croissy en mars dernier) campera la gouvernante Filipievna. L'incarnation du personnage d'Onéguine par Michal Partyka semble vocalement, tomber sous le sens, tandis que le célèbre adieu à la vie de Lenski viendra tester les capacités vocales de Florian Laconi. La baguette magique de David Reiland devrait nous confiner dans un huis-clos musical étouffant, tandis que l'œil expert d'Alain Garichot éclairera le drame.

Eugène Onéguine, du 4 au 9 avril à l'Opéra de Saint-Étienne


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Épisode 3 - La Biennale pour tous