La Biennale à l'heure H

La dixième Biennale internationale design bat son plein et la métropole stéphanoise est en ébullition. À mi-parcours, retour sur quelques coups de cœurs parmi les expositions de la Cité du design, au cœur des bâtiments H.


La carte interactive de la Biennale IN - site Cité du design

En temps normal, la Cité du design concentre ses expositions sous la Platine, étonnante halle moderne qui s'étend sur 193 mètres de long au pied de la tour Observatoire, bordant le bâtiment de l'Horloge. Mais durant chaque Biennale, c'est l'ensemble des bâtiments de l'ancienne Manufacture nationale d'armes qui est utilisé, un groupe de bâtisses qui doit son appellation à sa disposition en forme de H… A l'heure où la durée légale du temps de travail et le revenu universel s'invitent dans les débats préélectoraux, où le chômage des plus jeunes comme des seniors laisse entrevoir qu'il n'y a plus assez de travail pour tout le monde, il est peut-être temps d'envoyer valser nos vieux systèmes et de reconsidérer le monde du travail sous des angles nouveaux. C'est ce large Panorama des mutations du travail que propose de dresser le pôle recherche de la Cité du design, sous la direction d'Olivier Peyricot, jusqu'à penser la fin même du travail, entre réalité inéluctable et utopie assumée. Si le concept de travail collaboratif est largement évoqué à travers les espaces d'expression et d'échange dans l'espace Expérience tiers lieux, nous avons pour autant plus particulièrement apprécié d'autres approches parmi celles abordées, des regards parfois décalés, des démarches souvent étonnantes.

La fin du travail

Parmi les hypothèses d'une fin du travail à venir, Biorythmes évoquent par exemple les tentatives de resynchronisation de l'activité (le travail) avec nos propres cycles biologiques (notre métabolisme) et ceux de notre environnement. Il s'agit ici d'imaginer de nouveaux modes de production afin de recaler les accélérations du monde numérique sur la lenteur du vivant (faune et flore) et ainsi s'émanciper du productivisme qui broie généralement notre épanouissement physique et psychique. Tout un programme… Les deux commissaires de l'exposition Extravaillance Working Dead, Alain Damasio et Norbert Merjagnan, affirment quant à eux que le travail, tel un flux insaisissable, est déjà porté disparu. Après avoir été sacralisé pendant près de deux cents ans (le travail rend libre, mon œil), il disparaît inexorablement : le divorce du Capital et du Travail est consommé, l'avenir de l'emploi appartenant désormais aux générateurs automatiques du profit. Voyez, même la valeur monétaire s'efface à la surface des pièces de monnaie ! Imaginons alors ce que pourrait être, en 2217, un cadre de travail stimulant la créativité de travailleurs horizontaux. L'artiste Didier Fiuza-Faustino a installé trois îlots architecturés, des stations d'écoute dignes d'un film de science fiction, dans une des vastes salles de l'ancienne Manufacture. Le visiteur est invité à s'allonger, pris en charge par un dispositif voix-images qui le transporte dans le futur.

Jobs à la con

Un peu plus loin, sur un ensemble de grands kakemonos coulissants, on découvre une classification des métiers, allant des jobs de rêve ou des métiers qui font rêver les enfants, aux pires métiers ou « jobs à la con », en passant par ceux considérés comme peu susceptibles d'être remplacés par des robots. Une installation qui interpelle et amuse à la fois les visiteurs, selon bien sûr la profession qu'ils exercent eux-mêmes ! On observe par exemple que les journalistes de presse écrites exercent l'un des pires boulots, avec les bûcherons et les présentateurs télé ! Les célibataires s'attarderont sans doute davantage sur le panneau qui liste les métiers récoltant le plus de right swipe (j'aime) sur l'appli de rencontres Tinder. Dans un autre espace d'exposition, la lumière est mise sur l'apport des designers dans les plateformes telles que airbnb, twitter, vimeo, Pinterest, flickr, Uber, Blablacar et autres tumblr. Autant de plateformes collaboratives qui ont changé nos façons de nous informer, de nous déplacer et d'être hébergés, de nous informer, de nous divertir ou encore de consommer.

À ma zone

Au cœur des bâtiments H, un espace évoque l'automate que Wolfgang Von Kempelen avait créé en 1770, le Turc Mécanique, une supercherie qui fait résonnance avec l'organisation actuelle du travail. Une réflexion autours des dispositifs numériques qui transforment certaines activités humaines, comme celle par exemple des loisirs, en un travail non rémunéré. Il est ainsi question des plateformes telles que l'incontournable Amazon qui, tout en se heurtant aux législations locales sur le travail, poursuit son travail d'automatisation et de dématérialisation des métiers… Dans l'exposition La gueule de l'emploi (voir aussi l'article que nous avons réalisé sur cette expo), un tableau établit le classement de la durée hebdomadaire du travail selon les pays, indiquant au passage le salaire horaire minimum légal. Si une grande majorité de pays travaille quarante heures par semaine, on retrouve aux deux extrêmes la France (35 heures par semaines pour 10, 93 $ de l'heure) et le Kenya (52 heures de travail hebdomadaire pour un misérable salaire horaire de 0, 25 $)… CQFD


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La petite datcha dans la prairie