L'appel de la terre natale

"Tu devrais venir plus souvent" nous projette dans ces pèlerinages rituels au pays de notre enfance. Un voyage dans l'intime joliment conté par l'écriture poétique de Philippe Minyana et interprété avec justesse par l'émouvante Cécile Vernet, sous la direction de Gautier Marchado.


« Tu as changé mais on te reconnaît ! » C'est la voix de la parentèle dans le décor immuable du pays natal. C'est pour entendre cette voix si prévisible, si rassurante, que Francine, une jeune femme que l'on devine vivant dans une grande ville, décide ce périple vers « les visages de l'enfance, l'odeur des sous-bois, les paysages qui défilent sur l'autoroute et que tout le corps reconnaît ». Séduit par "l'écriture douce-amère" de Philippe Minyana, Gautier Marchado imprègne d'un rythme d'abord léger, puis de plus en plus mélancolique, ce texte finement ciselé. Le ponctue de notes de guitare électrique et de "paysages sonores" qui accompagnent la voix prenante de Cécile Vernet. Seule sur scène. Non, pas exactement seule. Il y a cet amas de terre sur lequel elle est tour à tour assise, allongée ou debout, pieds nus. Autour duquel elle tourne ou qu'elle pétrit rageusement. Comme pour en extraire le sens caché de tous ces non-dits qui ont pollué sa relation avec sa mère.

Terre mouillée

Le jeune metteur en scène, qui a crée la compagnie Parole en Acte à Saint-Chamond en 2014, a voulu matérialiser ce retour aux racines par cet élément naturel et organique. Et on y croit, on sent cette odeur de terre mouillée, de bouse de vache, on entend les oiseaux qui pépient et la cacophonie des voix de la parentèle. C'est comme si on y était, dans ces repas de famille interminables où on ressasse toujours les mêmes histoires, les voix pâteuses à l'heure de la prune, les mots qui butent sur des souvenirs âcres, l'estomac lourd et parfois le cœur gros. Et tout passe dans les fluctuations de la voix de Cécile Vernet. Le plaisir de ces moments de retrouvailles, les rires complices avec la cousine que l'on a toujours connue, les rituels absurdes, le temps qui se fige, les larmes qui affleurent, les mots suspendus…

Le temps de l'apaisement

L'actrice, membre de l'ensemble artistique de la Comédie de Saint-Etienne, est émouvante de sincérité, dans ce regard à la fois tendre et intransigeant sur cette envahissante parentèle. Le ton, d'abord léger et amusé, bascule doucement dans la mélancolie, à mesure que s'effeuillent les souvenirs de la jeune femme et sa blessure, toujours à vif, du fossé qui la sépare de sa mère. Une mère silencieuse et maladroite, qui n'a pas appris à dire son amour autrement que par les gestes du quotidien, "la vie courante". Une lettre clôt la pièce en apothéose pour dire enfin toute cette impuissance tue, ces maladresses cumulées, et sonner le temps de la réconciliation et de l'apaisement. C'est aussi ça la supériorité du théâtre sur la vraie vie.

Tu devrais venir plus souvent, de Philippe Minyana, par la Cie Parole en Acte, du mercredi 5 au vendredi 7 avril à 20h30, au Chok Théâtre


<< article précédent
Gilles Granouillet, piqué de théâtre